Rencontres sur l’évolution du droit de la famille dans les configurations sociétales actuelles

Dans son numéro 2 de l’année 2020, la Revue du Droit de la Famille publie une synthèse des débats de la rencontre que nous avons organisée le jeudi 7 novembre 2019, avec des parlementaires, des professionnels de la justice, du droit et des affaires familiales, à propos de l’évolution du droit de la famille dans les configurations sociétales actuelles.

Nous avons déjà posté un compte-rendu détaillé de chaque intervention. Ce billet propose une synthèse des interventions et indique le lien vers chacun des billets qui en rend compte.

Distinguer désaccord et conflit dans les situations de séparation

La séance est ouverte par Chantal Clot-Grangeat, Docteure en psychologie, psychothérapeute, Vice-Présidente de International Council on Shared Parenting (ICSP). Elle appelle à distinguer désaccord et conflit dans les situations de séparation.

Ces liens des enfants aux adultes se sont construits dans un projet familial. La rupture du couple les a bousculés, la plupart du temps dans un climat de désaccord, de désunion, qui ne facilite pas les arrangements réfléchis. Ce désaccord peut évoluer en conflit, de la violence peut apparaitre. Dans la situation de séparation, la difficulté à accorder des points de vue différents, dans un premier temps, se nomme un désaccord qui, s’il ne trouve pas de solution, tourne au conflit. La violence survient quand non seulement les partenaires n’arrivent pas à résoudre ce conflit mais quand il y a refus de prendre en compte l’autre avec des paroles et des actes qui n’ont comme seul but de le faire céder. Désaccord, conflit et violence sont donc à différencier. Le litige, enfin, est parfois confondu avec le conflit alors qu’il signe un appel à un tiers pour résoudre un conflit.

C’est le rôle de la loi de la République, en fixant un cadre à respecter et donc une règle de conduite, que de faire en sorte d’éviter les préjudices aux plus jeunes et de prendre des décisions adaptées pour toutes et tous.

Des recommandations pour un renouvellement de la loi famille et de la justice familiale

Michel Grangeat, Professeur émérite de Sciences de l’Éducation, à l’Université Grenoble Alpes conclut en proposant 9 recommandations.

  1. Favoriser la coparentalité en renforçant le congé paternité comme le stipule la directive, « relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée » prise par le Parlement et le Conseil européen.
  2. Privilégier les modalités de résidence qui augmentent au maximum le temps que l’enfant peut vivre avec chaque parent (par exemple, au moins deux nuitées par semaine) pour permettre à l’enfant de maintenir des relations régulières avec ses parents et les personnes qui ont pris part à son éducation.
  3. Favoriser la coparentalité en adaptant le vocabulaire des décisions de justice (par exemple : remplacer « droit de visite et d’hébergement » par un terme mettant en valeur la parentalité ; changer la définition de « la forme la plus courante » du droit de visite et d’hébergement sur le site service-public.fr).
  4. Créer un tribunal de la famille avec des personnels spécialisés pour permettre aux juges aux affaires familiales de suivre les dossiers sur plusieurs années (par exemple, réexamen des modalités de résidence lors de l’entrée à l’école ou au lycée).
  5. Faciliter l’audition des mineurs par la justice pour tenir compte de leur avis sur la modalité de résidence décidée par les adultes et pouvoir suivre les étapes de leur vie d’enfant.
  6. Accompagner les parents pour établir un plan parental qui organise la coparentalité dans l’objectif de soutenir le bien-être de leurs enfants, en cas de besoin.
  7. Repenser le système d’aides attribuées aux parents séparés et aux foyers monoparentaux à faibles ressources afin de mieux correspondre aux besoins de la diversité des familles.
  8. Identifier les cas de violence domestique et les prendre en compte de manière spécifique dès les premières étapes de la procédure de séparation.
  9. Restreindre le DCM aux séparations qui n’impliquent pas de mineurs.

Voici le résumé des interventions au cours des 3 tables-rondes et les liens vers le détail de ces interventions.

Filiation, coparentalité et intérêt de l’enfant : peut-on les penser du point de vue de l’enfant ?

Gabrielle Radica est professeure de philosophie (Savoir Textes Langage, UMR 8163, CNRS), Université de Lille. Elle s’intéresse à la question de filiation, coparentalité et intérêt de l’enfant : préférences individuelles, questions de principe et voies de l’identité familiale.

Les droits subjectifs, l’égalité et la liberté des individus ne sauraient être les seuls principes à invoquer pour décider de la pertinence du système de résidence des enfants en cas de séparation. Ces arguments se retournent en effet contre eux-mêmes si on ne les limite, et si on ne les complète par le rappel de la spécificité de la famille. Cette institution ne peut être décrite en des termes exclusivement individuels ou contractuels, car dans une famille plusieurs personnes partagent sans en avoir choisi tous les aspects une identité et une vie communes, et parfois un nom ou une résidence. On rappellera la complexité du problème en questionnant le lien entre filiation et résidence. On ne saurait pencher pour tel ou tel système sans savoir en quoi la résidence importe. Cette dernière relève-t-elle seulement de choix et de préférences, auquel cas la filiation y serait indifférente ? Mais n’engage-t-elle pas également l’identité, et de ce fait les voies par lesquelles la filiation se concrétise ?

Hugues Fulchiron est professeur à la faculté de Droit, directeur du Centre de droit de la famille, Université Lyon III Jean Moulin. Son intervention porte sur la filiation, les assistances médicales, l’adoption : peut-on penser la filiation à partir de l’enfant ?

Alors que l’on raisonne de plus en plus souvent en termes de projets parental, i.e. en fonction de la volonté de deux personnes (ou plus) de donner vie à un enfant selon des modalités de plus en plus diverses, est-il possible de penser la filiation à partir de l’enfant et non pas à partir des parents ? Comment construire juridiquement ce lien dans le respect des droits de l’enfant et, au premier chef, du droit de l’enfant au respect de son identité ?

Serge Hefez est docteur en médecine, psychiatre des hôpitaux. Responsable de l’Unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Salpêtrière AP-HP. Il propose des pistes de réflexion sur la séparation et la résidence de l’enfant : principes, modalités adaptées à l’enfant et coopération entre parents.

Comment devons-nous nous adapter aux nouvelles configurations familiales ? C’est la question ouverte par les transformations de la famille liées aux recompositions multiples, à l’extension de l’adoption, aux recours aux procréations médicalement assistées, à la reconnaissance des couples homosexuels. Les enfants sont aujourd’hui confrontés à de véritables « réseaux parentaux » au sein desquels doit émerger un processus de coparentalité rassurant et structurant.

La réflexion sur la pluriparentalité doit pour cela inclure l’ensemble des protagonistes qui ont concouru à ce qu’un enfant soit venu au monde, ait été nommé et élevé : parents biologiques, parents sociaux, beaux-parents, donneurs de gestation…

En cas de séparation, le plus important est d’éviter autant que possible que l’enfant ne soit pris dans des conflits de loyauté liés aux conflits que cette situation a peut-être générés. Il s’agit d’être au plus près de ce qu’il éprouve, comment il se sent en conflit à l’intérieur de lui, par rapport à l’un de ses parents ou par rapport à l’autre. D’où la nécessité de veiller au lien de l’enfant avec chacun de ses parents et de celles et ceux qui l’ont élevé. La résidence alternée, c’est un principe qui fait que les parents vont exercer conjointement leur parentalité. Cela ne veut pas dire que la résidence alternée c’est une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Toutes les possibilités d’aménagement participent au principe de la résidence alternée. Tout cela demande de l’intelligence dans la relation.

L’intérêt supérieur de l’enfant réside dans sa possibilité de se raconter son histoire, de tisser une identité narrative qui intègre les différents aspects de ses origines.

L’attachement et le développement des enfants de parents séparés : de la personne à la loi

Fabien Bacro est maître de conférences en psychologie du développement, Centre de recherche en Education de Nantes (EA 2661), Université de Nantes. Il traite des recherches sur l’attachement et le développement des enfants de parents séparés : état de la recherche en France et à l’international.

Depuis plusieurs décennies, les recherches issues de la théorie de l’attachement ont permis de mieux comprendre comment se développent les relations avec les parents, d’identifier les facteurs susceptibles de les influencer, et de déterminer en quoi elles jouent un rôle majeur dans le développement de l’enfant. L’objectif de cette présentation sera de dresser un bilan des résultats de recherche récents dans ce domaine en mettant plus particulièrement l’accent sur la question de la pluralité des relations d’attachement ainsi que sur les effets du mode de résidence sur la sécurité affective et le bien-être des enfants de parents séparés.

Luis Álvarez est pédopsychiatre, American Hospital of Paris et Clinique Périnatale de Paris. Il s’intéresse aussi à séparation et résidence de l’enfant : place du conflit et rôle du père.

Actuellement, notre système judicaire, accorde pour une grande majorité d’enfants de parents séparés, des droits de visite et d’hébergement au père dit « classiques », qui ne laissent que 20% du temps de vie d’enfant à la construction du lien père-enfant. La littérature scientifique internationale a établi que si un enfant passe moins de 35% de son temps en absence d’un parent, celui-ci s’effacera progressivement de sa vie. La discontinuité et la brièveté des rencontres père-enfant, dans le cadre de ces droits de visite et d’hébergement « classiques » constituent ainsi une privation de lien et une exclusion du père qui a des conséquences néfastes pour l’enfant et pour le père, comme la littérature scientifique internationale l’a démontré. Le petit d’homme a donc besoin, pour se construire sécure, de passer un temps suffisant avec chacun de ses parents, et ce à tout âge.

Guillaume Kessler est maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, Habilité à Diriger des Recherches, Centre de Recherche en Droit Antoine Favre (EA 4143) Université Savoie Mont-Blanc. Il propose un état des pratiques législatives sur la résidence alternée et le droit de la famille dans le monde.

De plus en plus d’États cherchent à favoriser la mise en œuvre d’une coparentalité effective en favorisant le mécanisme de la résidence alternée. Si certains, comme la Belgique, ont été jusqu’à établir une présomption en ce sens, la plupart essaient surtout d’encourager les parents à y recourir par le biais d’accord parentaux et par la mise en œuvre de règlement alternatifs de règlement des conflits. La meilleure façon de faire fonctionner le système est ainsi de faire en sorte que les parents y adhèrent et soient ainsi encouragés à collaborer dans l’intérêt de l’enfant.

La justice familiale en France : pratiques et préconisations

Adeline Gouttenoire est professeure à la Faculté de droit et sciences politiques, directrice du Centre européen de Recherches en droit des Familles, des Assurances, des Personnes et de la Santé (EA 4600), et de l’Institut Des Mineurs, Université de Bordeaux. Elle rapporte sur les plans parentaux extra-judiciaires.

Les plans parentaux extrajudiciaires sont des accords de volontés entre parents séparés, de forme écrite ou orale, qui ont pour objet la détermination des modalités – ou de certaines d’entre-elles seulement – de l’exercice de l’autorité parentale. Il s’agit d’accords précis ayant vocation à s’inscrire dans la durée. Ces plans parentaux extra-judiciaires revêtent une importance et une force contraignante particulière dans le cadre du divorce sans juge.

Les résultats de l’étude menée par le CERFAPS de Bordeaux mettent en évidence la place croissante que tendent à occuper les plans parentaux extrajudiciaires. En effet, si ces accords parentaux sont encore peu reconnus par le droit français en l’absence d’homologation par le juge aux affaires familiales, une tendance très nette semble néanmoins se dessiner en faveur de leur développement. Les plans parentaux sans recours au juge sont ainsi une réalité qui semble être un moyen de pacifier la relation parentale en dépit de la séparation conjugale.

Il semblerait que les plans parentaux extrajudiciaires aillent dans le sens d’un renforcement des relations de l’enfant avec chacun de ses parents séparés. Le fait d’avoir un accord incite les parents à discuter, à négocier pour adapter leurs arrangements notamment si les circonstances changent.

Caroline Siffrein-Blanc est maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, Laboratoire de Droit Privé et de Sciences Criminelles (EA 4690), spécialisée en droit de la famille, droit de l’enfant, Université Aix-Marseille. Elle propose les résultats de son enquête sur les décisions de justice concernant la résidence des enfants, telles que les donnent à voir les Cours d’Appel.

Si le législateur a affirmé le principe d’autorité parentale conjointe malgré la rupture du couple parental, l’effectivité de cette coparentalité peut être toute relative lorsque l’un des parents dispose seulement d’un droit de visite et d’hébergement. Aussi afin d’éclairer le débat sur la question du principe de résidence alternée, une analyse qualitative d’une cinquantaine de décisions de cour d’appel, sur une période de deux années, 2016-2018, a permis d’identifier les motifs justifiant l’octroi ou le refus de la résidence alternée.

S’il ressort de façon unanime que la résidence alternée doit répondre à l’intérêt de l’enfant et non à ceux des parents, l’étude révèle que les critères légaux et jurisprudentiels d’appréciation de cet intérêt ne sont pas uniformément appréhendés par les juges du fond. Une interprétation plus ou moins stricte des critères permettant l’évaluation de l’intérêt de l’enfant, tels que l’âge de l’enfant, la mésentente des parents, la proximité des domiciles, la plus grande disponibilité des parents, donne lieu ainsi à des divergences jurisprudentielles marquant soit une résistance plus forte à l’égard de la résidence alternée soit une faveur plus marquée à ce mode de résidence. En revanche, le critère de stabilité et de maintien des repères de l’enfant semble s’imposer communément comme un critère essentiel conduisant à présumer le mode de résidence ordonné ou homologué par le JAF comme conforme à l’intérêt de l’enfant. Dès lors, les décisions rendues en première instance font en quelque sorte jurisprudence sur la situation de l’enfant et son avenir, à moins d’établir un fait nouveau justifiant une remise en cause de sa stabilité. Alors que la résidence alternée apparait comme un outil favorisant la coparentalité et le maintien des liens de l’enfant avec ses deux parents, elle demeure actuellement une modalité d’exercice de l’autorité parentale parmi d’autres dépendante de la volonté des parents ou de l’appréciation souveraine que s’en font les juges.

Blandine Mallevaey est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Titulaire de la Chaire « Enfance et Famille », Centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit. Faculté de Droit de l’Université Catholique de Lille. Elle rapporte sur les conditions d’audition de l’enfant par les juges aux affaires familiales.

Lorsque les parents d’un enfant mineur se séparent et que la fixation de la résidence de l’enfant donne lieu à une procédure judiciaire, cet enfant peut être entendu par le juge aux affaires familiales à la condition qu’il soit capable de discernement. L’audition de l’enfant mineur est un droit qui lui est reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant et par le Code civil français. Pourtant, en pratique, de nombreux obstacles subsistent et empêchent le recueil et la prise en compte de la parole de l’enfant concernant la fixation de sa résidence. Ces obstacles résultent aussi bien de l’application de textes qui entravent l’accès de l’enfant à son audition par le juge, que de pratiques professionnelles parfois regrettables. Dans les deux cas, une intervention législative serait de nature à favoriser la participation de l’enfant à la décision judiciaire qui le concerne, dans le respect de sa parole et de son intérêt supérieur. L’intervention de Blandine Mallevaey, qui a dirigé la recherche « Audition et discernement de l’enfant devant le juge aux affaires familiales » vise à faire un bref état des lieux des pratiques en matière d’audition de l’enfant par le JAF et à présenter succinctement les préconisations phares de ce rapport de recherche.