Filiation, coparentalité et intérêt de l’enfant : peut-on les penser du point de vue de l’enfant ?#2

Comme nous l’avons écrit, jeudi 7 novembre, nous avons rencontré des parlementaires, des professionnels de la justice, du droit et des affaires sociales, à propos de l’évolution du droit de la famille dans les configurations sociétales actuelles.

Trois tables rondes étaient organisées. Nous avions invité des spécialistes pour débattre.

Dans un billet précédent, nous avons cité deux idées fortes que nous retenons de la première intervenante, Gabrielle Radica.

Serge Hefez va reprendre ces idées en les éclairant sous l’angle psychologique. Voici ce que nous en retenons.

Protéger les relations de généalogie et les relations de soin et d’éducation

Quand on parle de famille on parle de deux choses : l’horizontalité et la verticalité.

La verticalité, c’est dire qu’une famille ne commence jamais et ne finit jamais. La famille verticale se définit par sa généalogie, son histoire, ses origines. Elle représente un ancrage qui donne du sens, elle est immuable. C’est le sens de la parenté qui permet à l’enfant de forger son identité à partir du fait qu’il est issu d’un ensemble de générations.

L’horizontalité, c’est le groupe familial, humain, vivant, émouvant, en relation, animé par des passions, des amours et des désamours, des haines et des rivalités. C’est ce groupe auquel participe l’enfant. Cette famille horizontale est en transformation permanente.

Il y a quelques décennies, l’horizontalité et la verticalité de la famille se rejoignaient à peu près. L’enfant était élevé par le couple qui l’avait conçu, dans une complémentarité des rôles parentaux sous l’autorité paternelle. Ce modèle est marqué par la domination des hommes sur les femmes. Aujourd’hui, la transformation de la société nous a fait passer à une égalité parentale conjointe, à une égalité des genres et des sexes (hétérosexualité et homosexualité).

En passant à l’autorité parentale conjointe, par la loi de 1975, il a été reconnu que les compétences des deux parents sont égales et conjointes. Cela ne veut pas dire que les pères et les mères sont confondus mais qu’il y a égalité de compétences vis-à-vis d’un enfant dans la façon dont il va être élevé. En situation de séparation, cette égalité est la chose la plus importante à garder en tête.

Le législateur se soucie de cette égalité, quand les parents la demandent. Mais la plupart des parents ne la demandent pas car il y a encore cette vision que l’éducation des enfants, et surtout des jeunes enfants, relève d’avantage des savoir-faire maternels que des savoirs-faire paternels. Ce sont des choses qui changent.

Le principe de l’alternance qui est inscrit dans la loi doit s’appliquer, même en situation de conflits. Il nous reste, cependant, à travailler la question de la médiation.

Penser coparentalité et pluriparentalité

Penser l’intérêt de l’enfant, aujourd’hui, c’est penser comment il peut intégrer les processus de coparentalité et aussi ceux de pluriparentalité auxquels il est souvent confronté. La pluriparentalité concerne les familles recomposées mais aussi la PMA et l’adoption.

Si la famille se disloque, la question du droit est claire : l’enfant a besoin de se situer dans une généalogie et une transmission qui a du sens pour lui. Les situations sont de plus en plus complexes du fait de la procréation médicale et des reconfigurations multiples.

Ce n’est cependant pas un chaos. Ce sont d’autres formes de configurations familiales qui impliquent d’autres formes de souplesse en termes d’appartenance : un même enfant peut être l’aîné d’une fratrie dans un foyer et l’enfant unique dans un autre. Si dans cet ensemble de configurations il y a un accordage, l’enfant ne se construit pas dans le chaos.

La loi devrait se pencher sur la complexité de ces questions afin de s’adapter aux situations familiales actuelles. Le statut du beau-parent devrait être pris en compte : est-ce que le beau-parent appartient à la famille ? Que deviennent les relations établies avec les beaux-enfants en cas de séparation du couple ?

Quand l’enfant va mal

La construction identitaire de l’enfant dépend de la manière dont on va lui raconter son histoire et de la cohérence, de l’accordage, entre les différentes manières de raconter son histoire. Par exemple, les questions de PMA et d’origine des donneurs posent de vraies questions par rapport à la façon dont l’histoire est transmise à l’enfant. Le fait qu’une personne supplémentaire ait été nécessaire à l’engendrement peut être une difficulté ou non pour l’enfant, selon que la famille est désaccordée ou accordée autour de la manière de raconter l’histoire. Si il y a accordage, l’enfant va construire très harmonieusement son identité. Si un secret persiste, l’enfant aura des difficultés à se raconter une histoire qui a du sens.

Les origines d’un enfant sont, en effet, devant lui : ce n’est pas juste la généalogie qui établit une histoire figée, c’est l’histoire qu’on lui raconte et qui se transforme en permanence. C’est là où les conflits externes peuvent apparaître, où des histoires inconciliables peuvent lui être racontées. Cela rejoint les questions concrètes de résidence de l’enfant après séparation, de qui cherche à s’accaparer l’enfant, à quelle famille il se réfère, est-ce que, dans son histoire, une famille va prendre le pas sur l’autre ?

Quand l’enfant va mal, le groupe familial doit trouver des règles internes qui soient protectrices par rapport à l’enfant. Dans les accompagnements thérapeutiques, avec le groupe familial, il s’agit de penser le groupe familial d’aujourd’hui en prenant en compte le système complet et pas seulement les parents biologiques, ou un seul parent.

Cette perspective inclusive conduit à travailler avec tout le groupe des adultes qui ont construit des relations avec l’enfant et qui sont en conflit, en désaccordage. Cela peut passer par le récit de l’histoire de la filiation, de l’adoption ou de la séparation pour accorder tous ces éléments. pour que l’enfant puisse trouver du sens et de la cohérence à son histoire.