Donner une plus grande place aux pères en cas de rupture du couple

Un dossier publié par le journal La Croix du 5 février 2020 est consacré à la place du père après séparation. Ce dossier illustre ce que nous avions écrit du devoir de loyauté entre les parents, à partir des travaux de Guillaume Kessler.

Le dossier comporte des témoignages de pères, des conseils d’une médiatrice et le point de vue d’une médecin et d’une sociologue.

Un week-end sur deux : le lien avec le père risque de disparaître

Les témoignages des pères publiés dans cet article confirment la difficulté des enfants à maintenir des liens affectifs positifs avec leur père, lorsque ces enfants ne rencontrent leur père que deux jours par quinzaine, durant le temps de repos du week-end. Le week-end n’est pas le bon moment pour des relations authentiques et l’absence durant 12 jours rend le contact difficile.

Nicolas, père de deux enfants qui ne vivent avec lui qu’un week-end sur deux, explique : « Le week-end, c’est du temps hors-sol. Le cœur de la vie de l’enfant, c’est la semaine, avec l’école, les activités, les copains… Voir l’enfant seulement le week-end, ou durant les vacances, tient à distance le père, qui lui aussi devient hors sol. »

Le dossier met en relation ce témoignage avec le constat fait par la DREES (2018) que « un jeune sur quatre déclare ne plus avoir de relations avec son père. »

Vincent, lui, témoigne de la complexité des relations familiales d’aujourd’hui. Avec la mère de sa fille, il vit en bonne intelligence et ils se sont mis d’accord pour assouplir le dvh strict décidé par la justice : il rencontre suffisamment sa fille. En revanche, après sa deuxième rupture, la mère de son fils est partie vivre loin et Vincent ne le voit qu’une fois par mois.

Chaque parent est responsable de la relation de l’enfant à l’autre parent

Ces témoignages posent la question du devoir de loyauté entre les parents. Ils rejoignent ainsi ce que Guillaume Kessler a repéré dans plusieurs pays et que nous rapportions dans un précédent billet. La médiatrice interrogée dans le dossier insiste sur cet aspect de la rupture parentale.

Pour elle, « une bonne communication fondée sur la bienveillance et le respect de la place de chacun est une base essentielle à la construction ou au maintien des liens avec le parent à distance, le père le plus souvent. »

Elle insiste sur « la responsabilité qui incombe à chaque parent de faire en sorte que la relation entre l’enfant et l’autre parent existe, se passe bien et soit de bonne qualité. » Cependant, elle remarque que « beaucoup de mères séparées de leur conjoint ne veulent pas endosser cette responsabilité et ce, au détriment des besoins de l’enfant, dont celui d’avoir ses deux parents pour grandir. »

Cette remarque est vraisemblablement à nuancer et les mères ne sont pas toutes aussi rétives à laisser leurs enfants maintenir des contacts réguliers avec leur père. En tout cas la situation évolue du fait des évolutions sociétales. Un responsable d’association témoigne : « Grâce aux recompositions familiales, les femmes constatent ce que vit leur nouveau compagnon, ses difficultés avec ses propres enfants. Elles analysent autrement ce qu’elles ont, parfois, elles-mêmes vécu. On va tous être obligés de s’entendre pour trouver des solutions pour le bien-être de nos enfants. »

L’enfant doit avoir une chambre chez chaque parent

La médiatrice poursuit en enjoignant les pères de faire une place physique chez eux pour l’enfant, même si la rencontre n’est effective qu’un week-end sur deux. Ce que confirme la médecin psychiatre et thérapeute familiale interrogée pour ce dossier : « Pour continuer à jouer un rôle affectif et éducatif vis-à-vis de son enfant, il est important que le père lui fasse une place, au sens physique et psychologique, a fortiori dans une famille recomposée. Outre lui garder une chambre ou un espace, le père doit s’efforcer de ne pas oublier les fêtes, les anniversaires. »

Cette importance des conditions d’hébergement est illustrée par le témoignage de Philippe. Pour rester près de l’ancien domicile conjugal, il n’a pu louer qu’un petit studio où il était impossible d’accueillir ses enfants dans de bonnes conditions. Son droit d’hébergement lui a été supprimé et le contact avec ses enfants a été perdu.

Cette importance des conditions de logement rejoint la question des aides attribuées au deux parents. Le gouvernement a été plusieurs fois interpelé sur la nécessité d’adapter la loi et les règlements à la réalité des familles actuelles.

Les jeunes couples ont une meilleure culture de l’égalité

La sociologue interrogée déplore l’état des choix et des décisions de résidence des enfants : « La tendance est de continuer à privilégier la mère en cas de séparation pour un tout-petit,au niveau juridique. On va moins passer au crible les conditions de vie de la mère pour que celle-ci obtienne la garde. Perdure l’idée selon laquelle l’homme sait moins bien y faire que la femme. »

Cette tendant est bien illustrée par le témoignage de Nicolas. Juste après la séparation, les enfants vivaient en résidence alternée mais la mère a fait appel de la décision. Le justice a tranché pour un dvh strict, un week-end sur deux (12-2 jours).

Ce constat rejoint les résultats des études des décisions de justice que nous avons exposés lors des rencontres avec les parlementaires et les professionnels.

La sociologue montre que cette tendance à privilégier la mère accompagne un manque de confiance des pères : « Les pères ont tendance à sous-estimer leurs aptitudes à bien s’occuper de leur enfant. Pourtant, plus ils assurent les soins quotidiens, plus ils savent être à son écoute. »

Heureusement, note-elle : « Beaucoup de pères séparés prennent à bras-le-corps leurs nouvelles responsabilités. Ils s’investissent dans leur rôle à part entière. Plus le père s’implique, plus il va essayer de mettre en place les conditions nécessaires au maintien du lien. »

Ce constat rejoint les résultats de l’étude du sociologue espagnol Gerardo Meil sur les effets du congé paternité : au début les pères se croient incapables de prendre soin du jeune enfant mais, après quelques temps, non seulement ils savent faire mais ils gèrent les affaires domestiques du couple. Le résultat est un meilleur équilibre des responsabilités d’éducation aux enfants et des tâches d’entretien de la maison.

Les entreprises doivent reconnaître les responsabilités des deux parents

La sociologue termine : « Pour permettre l’exercice effectif des responsabilités éducatives, malgré une séparation conjugale, il convient notamment d’encourager les mesures en faveur d’une meilleure harmonisation des temps professionnels et des temps familiaux, notamment à travers la charte parentale des entreprises. N’oublions pas que le travailleur est aussi, souvent, un père ! »

L’instauration d’un réel congé paternité de plusieurs semaines semble donc une condition pour favoriser un meilleur partage des responsabilités parentales, dans les familles unies et en cas de séparation. En Espagne, ce congé est de 8 semaines (probablement 12 depuis le premier janvier 2020). En France il est de 11 jours, sauf en cas d’hospitalisation du nourrisson.

Nous avons noté que le gouvernement français souhaitait étendre ce congé pour les pères.