Filiation, coparentalité et intérêt de l’enfant : L’évolution des lois internationales #3

Nous poursuivons le compte rendu des rencontres que nous avons organisées le jeudi 7 novembre 2019, pour des parlementaires, des professionnels de la justice, du droit et des affaires familiales, à propos de l’évolution du droit de la famille dans les configurations sociétales actuelles.

Nous avons rapporté les propos de : Gabrielle Radica, professeure de philosophie à l’université de Lille ; Serge Hefez, psychiatre des hôpitaux et responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Salpêtrière AP-HP ; Hugues Fulchiron, professeur et directeur du Centre de droit de la famille, à l’université Lyon ; Fabien Bacro, maître de conférences en psychologie du développement, à l’Université de Nantes ; Luis Álvarez, pédopsychiatre à l’American Hospital et à la Clinique Périnatale de Paris.

Voici ce que nous retenons des interventions de Guillaume Kessler, maître de conférences en Droit privé, à l’Université Savoie Mont-Blanc.

Guillaume Kessler propose un panorama international de l’évolution des lois en cas de rupture parentale.

Mettre en avant le temps parental partagé

La CIDE, dans son article 9-3, précise que l’enfant a le droit d’entretenir des relations avec ses deux parents. Donc il y a un vrai droit pour l’enfant à la coparentalité.

Au début, on s’est concentré sur une idée de garde et d’autorité parentale partagée. Les lois étaient pensées en termes d’autorité des parents sur leur enfant, pour déterminer qui est titulaire de cette autorité. Cette idée évolue en mettant en avant le temps effectif passé avec l’enfant.

Actuellement, dans de nombreux pays, la question du devenir des enfants après rupture du couple parental est abordée de cette manière. Certes, il y a une autorité parentale partagée qui fait que les parents doivent décider ensemble, par exemple sur les opérations chirurgicales ou l’orientation de l’enfant. Cela ne suffit pas.

Ce qui compte le plus, c’est le temps effectif passé avec l’enfant et c’est ce qui ressort dans la plupart des législations.

Ce qui est étonnant, c’est que l’idée d’autorité parentale commune n’a pas empêchée la survivance des stéréotypes de genre. Cela reste assez fort. Il y a toujours dans la jurisprudence française la notion de maternage qui est utilisée, surtout quand les enfants sont jeunes, pour justifier la fixation de la résidence habituelle chez la mère.

Cette priorité à la mère est en train de s’atténuer, cela évolue. Cette évolution s’accélère avec le développement des accords parentaux qui comportent souvent la résidence alternée.

La loi française devrait évoluer plus vite, comme le réclame Marc Pichard, professeur des universités, devant la « Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle. »

Trois manières de rendre concrète la coparentalité

Quelques Etats donnent une priorité à la résidence alternée. C’est le cas en Belgique, par exemple, où il y a inversion de la charge de la preuve : si un parent demande la résidence alternée, l’autre a l’obligation de démontrer que ce ne serait pas une bonne solution pour l’enfant. La présomption de résidence alternée existe aussi en Australie même si l’exigence du partage égalitaire du temps est moindre, en fait il faut un temps significatif, substantiel avec les deux parents. Il y a des présomptions de résidence alternée qui existent ou commencent à apparaître dans certains États américains comme l’Arizona, le Kentucky, la Floride ou le New Hampshire. Il y a des systèmes comme au Danemark où il y a obligation de résidence alternée durant trois mois ; pendant l’instruction du dossier des conseillers peuvent suivre le couple et les parents doivent suivre une sorte de formation.

Deuxièmement, une importance plus grande est donnée aux accords parentaux, afin d’assurer la continuité dans la vie de l’enfant. Le principe du « parenting plan » est la règle dans les pays anglo-saxons. On est vraiment sur une intervention minimale du juge et donc on va privilégier les accords. Les parents sont accompagnés par un médiateur pour quasiment tout prévoir de A à Z et le juge n’intervient qu’à la fin du processus. Les plans parentaux concernent le détail, c’est un rapport contractuel, de négociation. C’est un moyen de responsabiliser les parents. Cette manière d’accompagner les parents n’a rien à voir avec ce que font beaucoup de médiateurs en France.

Troisièmement, c’est l’accompagnement de l’évolution sociétale. Cela apparaît de manière plus discrète mais réelle. En Suède, la résidence alternée est fréquente car c’est le prolongement de ce qui se passe dans la vie commune. Il y a un bon équilibre dans la répartition de la charge des enfants dans le couple et, en cas de séparation, la résidence alternée est une solution qui s’impose. Il n’y a même pas besoin de faire de loi qui donne priorité à la résidence alternée. Des États mettent l’accent sur les conseils pour faciliter la résidence alternée. D’autres mesures concernent l’alignement du temps des congés maternité et paternité.

Développer le devoir de loyauté entre les parents

L’idée d’une sorte de régime parental d’obligations émerge de plus en plus. Les parents auraient un devoir de loyauté l’un envers l’autre qui subsisterait à la rupture. Le couple conjugal se dissout mais le couple parental subsiste et donc, il y aurait des obligations réciproques. La loyauté et une compensation financière réciproque, si par exemple l’un a pris un travail à temps partiel pour élever les enfants. Les parents seraient des partenaires. Au Québec, Alain Roy a dirigé un rapport « Rénover le droit de la famille », qui propose l’adoption d’un tel régime parental.

La loyauté, c’est l’idée que celui qui part a à faire des efforts pour que celui qui reste puisse toujours avoir du temps avec ses enfants. Le parent qui part doit réfléchir aux solutions qui permettraient à l’autre parent de vivre un temps significatif avec l’enfant.

C’est pourquoi le terme « résidence alternée » pose problème. Dans bien des pays, sont utilisés les termes de « résidence partagée » ou de « partage du temps parental. »