Quels facteurs pertinents pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant en cas de séparation des parents ?

Notre participation au comité sur les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures de séparation des parents ou de placement (CJ/ENF-ISE) nous donne l’occasion de réfléchir sur les lois internationales.

Palais de l'Europe

Nous proposons aujourd’hui de réfléchir aux facteurs qui peuvent guider les juges dans leurs décisions, à partir de la loi irlandaise de 2015. Il s’agit de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant, qui en anglais s’énonce the best interest of the child et donc le meilleur intérêt.

Que dit la loi en Irlande ? Que penser des facteurs proposés aux juges ? Pourrait-on les améliorer ?

Éviter les préjugés sur le rôle des pères et des mères

Lorsqu’il s’agit de la séparation des parents, nous devons veiller à éviter tout parti pris résultant d’idées préconçues et de préjugés. En particulier, nous devons veiller à éviter de reproduire et de soutenir tout préjugé concernant les rôles respectifs des mères et des pères dans l’éducation des enfants.

A cet effet, deux références européennes sont utiles.

  1. La directive sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée des parents et des personnes assurant la garde des enfants, qui a été adoptée par le Conseil de l’UE (24 mai 2019). Cette directive constitue une nouvelle étape dans la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’UE. Actuellement, les hommes ne sont que peu incités à prendre un congé parental ou de paternité ou à assumer des responsabilités de soins. La directive leur offre de nouvelles possibilités pour le faire. Cela réduira la quantité de travail non rémunéré effectué par les femmes et leur permettra de consacrer plus de temps à un emploi rémunéré. Elle contribuera également à réduire l’écart entre les sexes.
  2. La résolution 2079 (2015) de l’APCE sur le rôle des pères dans l’égalité et le partage de la responsabilité parentale. Dans son article 4, cette résolution indique que « le développement de la responsabilité parentale partagée contribue à transcender les stéréotypes de genre concernant les rôles supposés attribués aux femmes et aux hommes au sein de la famille et n’est que le reflet des changements sociologiques intervenus au cours des cinquante dernières années dans l’organisation de la sphère privée et familiale »

La répartition des rôles peut évoluer après la séparation

Comme d’autres lois nationales, la loi irlandaise tend à privilégier la répartition des rôles qui a prévalu au sein du couple avant la séparation. Or les contextes sont forcément différents.

Un premier facteur préconisé par la loi irlandaise est : « les antécédents de l’enfant en matière d’éducation et de soins avant la procédure ». Plus objectivement, nous proposons : « La présence de chaque parent dans l’éducation et la garde de l’enfant avant la procédure. » Car l’important est que les parents aient été présents, peu importe comment, dans un premier temps.

Un deuxième facteur est : « la capacité d’un parent à s’occuper de l’enfant et à répondre à ses besoins. » Nous pensons qu’il faudrait remplacer le terme de capacité par celui de volonté.

En effet, nous devons éviter tout stéréotype qui attribue cette capacité aux mères comme une capacité « naturelle », alors que les pères devraient démontrer leur propre capacité. Nous devrions tenir compte du fait que cette capacité pourrait être progressivement développée par un parent qui n’aurait pas été le principal responsable, en raison de l’accord parental. C’est ce que montre l’expérience espagnole résultant de l’extension à 8 semaines du congé paternité.

Il faudrait également tenir compte de l’aptitude d’un parent à prendre soin de l’enfant et à répondre à ses besoins, en fonction de son état de santé, d’un éventuel handicap ou d’autres mesures spécifiques ordonnées par un juge.

Encourager la continuité des relations entre l’enfant et chaque parent

De manière très intéressante, la loi irlandaise conduit les juges à considérer la volonté des parents à faciliter la continuité des relations de l’enfant avec chaque parent.

Ce facteur concerne « la volonté et la capacité d’un parent à encourager et à permettre une relation étroite et continue entre l’enfant et l’autre parent ». Ici encore, il faudrait éviter le stéréotype selon lequel la capacité n’est pas flexible et adaptable et ne s’en tenir qu’à la volonté.

On pourrait ajouter également le fait que « les parents sont conscients de l’avantage qu’il y a à ce qu’un enfant ait une relation significative avec chacun de ses parents et avec toute autre personne qui a participé ou participe à son éducation et à ses soins. »

Cette idée d’encourager le maintien des liens enfant-parents peut se retrouver dans un autre facteur du texte de loi irlandais. Il s’agit de prendre en compte « les besoins de l’enfant concerné (y compris les besoins physiques, psychologiques, émotionnels ou autres besoins spéciaux) compte-tenu de son âge et de son stade de développement et de l’impact potentiel d’un changement de circonstances sur lui ».

Il faudrait ajouter  » y compris des liens d’attachement que la plupart des nourrissons ont formés avec leurs deux parents, dès les premiers mois, au même moment et de la même manière. »

En effet, un préjugé consiste à croire que les nourrissons ne s’attachent au départ qu’à leur mère, que ces relations restent primordiales et qu’elles seraient remises en question, voire perturbées, par une séparation régulière et prolongée. Comme le font remarquer Lamb ou Bacro, ces arguments ne tiennent pas compte des nombreuses preuves non seulement que la plupart des nourrissons s’attachent à leurs deux parents en même temps et de la même manière, comme indiqué précédemment, mais aussi que les nourrissons ne sont pas trop stressés par les séparations des figures d’attachement lorsqu’ils sont accompagnés et soutenus par d’autres figures d’attachement.

Prévenir les situations de violence domestique

Un autre facteur important consiste à prendre en compte : « tout préjudice que l’enfant a subi ou risque de subir du fait de la violence domestique, en tenant compte de la nécessité impérieuse de protéger sa santé et sa sécurité ainsi que son bien-être psychologique et émotionnel ; la violence domestique comprend le fait de faire craindre à l’enfant pour sa sécurité ou celle d’une autre personne. »

Un premier biais pourrait être de généraliser la violence domestique à tous les types de ruptures parentales alors que la plupart des séparations sont plus ou moins pacifiques. Il ne faudrait pas confondre désaccord, conflit et violence.

Un deuxième biais pourrait être de croire ou de laisser croire que seuls les hommes sont les auteurs de la violence domestique. Comme le note Alexandra Lysova (2018) : « Au cours des quatre dernières décennies, on a assisté à un changement progressif de la perception des femmes, qui ne sont plus seulement victimes de la violence conjugale, mais qui reconnaissent leur propre engagement dans la violence contre un partenaire intime ».

Un troisième biais pourrait consister à omettre la spécificité du comportement d’aliénation parentale, en tant que forme de violence émotionnelle qui donne des signes clairs que les enfants sont psychologiquement aliénés d’un parent en raison de l’action de l’autre parent. C’est ce que note, par exemple, la Cour européenne des droits de l’homme Pisica contre la Moldavie).

En toute rigueur, il faudrait donc compléter ce facteur afin d’attirer l’attention sur le comportement d’aliénation parentale, en tant que forme de violence émotionnelle, pour reprendre les termes du jugement de la Cour Européenne.

Prendre des décisions rapides pour respecter le besoin de l’enfant

Comme nous l’avons mentionné dans un billet précédent, la loi irlandaise précise « la nécessité de mener les procédures et d’exécuter les décisions sans retard déraisonnable, de manière humaine et sensible, dans l’intérêt de toutes les parties concernées. »

Cette loi est peut-être complétée par des directives plus précises. Cependant, il serait vraisemblablement préférable de se rapprocher de la loi belge qui préconise des délais plus précis. L’ajout serait : « La première audition devrait avoir lieu dans un délai de 3 semaines après le dépôt de la demande par un des parents et la décision, même temporaire en ce qui concerne le mode d’hébergement de l’enfant, devrait être prise dans les 4 semaines suivant la première audition. »

A suivre

D’autres facteurs, non évoqués ici, sont pris en compte en Irlande telle que la protection du patrimoine linguistique, culturel et religieux de l’enfant. D’autres sont absents, comme les conditions matérielles du partage de temps parental, tel que la proximité des résidences.

Rien n’est dit non plus des conditions d’audition de l’enfant.