Filiation, coparentalité et intérêt de l’enfant : L’attachement et le développement des enfants de parents séparés #1

Nous revenons au compte rendu des débats de la rencontre que nous avons organisée le jeudi 7 novembre 2019, avec des parlementaires, des professionnels de la justice, du droit et des affaires familiales, à propos de l’évolution du droit de la famille dans les configurations sociétales actuelles.

Trois tables rondes étaient organisées.

La première demandait : Qu’est-ce qu’une famille ? A partir de quand parle-t-on de famille ? Quels repères pour faire famille ? Et nous avons rapporté les propos de : Gabrielle Radica, professeure de philosophie à l’université de Lille, ; de Serge Hefez, psychiatre des hôpitaux et responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à La Salpêtrière AP-HP ; de Hugues Fulchiron, professeur et directeur du Centre de droit de la famille, à l’université Lyon III Jean Moulin.

La deuxième proposait de faire le point sur les questions d’attachement et le développement des enfants de parents séparés.

Trois spécialistes intervenaient :

Fabien Bacro, maître de conférences en psychologie du développement, Centre de recherche en Education de Nantes (EA 2661), Université de Nantes, a présenté l’état de la recherche en France et à l’international sur l’attachement et le développement des enfants de parents séparés.

Luis Álvarez, pédopsychiatre, American Hospital of Paris et Clinique Périnatale de Paris a discuté la place du conflit et le rôle du père, dans les différentes situations de séparation et de résidence de l’enfant.

Guillaume Kessler, maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles, Habilité à Diriger des Recherches, Centre de Recherche en Droit Antoine Favre (EA 4143) Université Savoie Mont-Blanc a présenté les facteurs de développement de la résidence alternée et le droit de la famille dans le monde.

Ce billet présente les idées principales que nous retenons à la suite de l’intervention de Fabien Bacro.

Les recherches effectuées ces dernières décennies mettent en évidence des évolutions importantes en ce qui concerne les personnes auxquelles les enfants vont pouvoir s’attacher et le rôle que ces personnes vont jouer dans leur bien-être. Au début, les recherches étaient centrées sur la mère, aujourd’hui on sait, et il y a consensus dans les recherches, que les enfants vont s’attacher à d’autres personnes, en premier lieu leur père, dans les familles traditionnelles. Mais aussi les grands-parents. A partir du moment où il y a des contacts réguliers, des interactions fréquentes, et que l’adulte s’implique dans les soins et l’éducation de l’enfant, il y a une relation d’attachement qui va se développer.

La relation d’attachement au père est très importante pour le développement futur de l’enfant

Dans ses travaux, Fabien Bacro montre que la qualité de la relation au père a une influence sur la réussite scolaire des enfants parce qu’une bonne relation avec le père favorise une bonne image de soi, notamment en tant qu’élève. Ce sont des enfants qui vont s’investir dans les apprentissages scolaires.

Ces relations d’attachement sont des relations durables qui sont impactées lorsque les séparations sont subies et se prolongent. La situation de séparation est particulièrement stressante, notamment pour les enfants qui vont devoir remanier la façon dont ils appréhendent leurs relations avec chacun des parents. Des enfants dont les parents se séparent et qui vont être privés de la présence de leur père pour une grande partie de leur temps, sont dans des situations qui sont susceptibles d’entraîner de l’insécurité et d’impacter leur bien-être.

La modalité de résidence « un week-end sur deux » crée une situation insécurisante pour l’enfant puisqu’il va se retrouver régulièrement chez son père avec lequel il n’a pas les moyens de créer une véritable relation d’attachement puisqu’il ne passe pas suffisamment de temps avec lui. Il est clair que la qualité de l’attachement ne dépend pas uniquement de la quantité de temps, car les recherches montrent que c’est la qualité des soins qui importe. Il n’empêche que quand, à un ou deux ans, l’enfant se retrouve chez une personne qu’il ne voit qu’un week-end sur deux, cela crée une situation insécurisante.

Le maintien des relations d’attachement est bénéfique à chaque parent

Ce débat sur les modes de garde a déjà surgi, il y a des années, quand certains affirmaient que mettre l’enfant à la crèche allait le rendre insécurisé. Ce que l’on sait maintenant, c’est que si l’on propose dans le mode de garde les conditions pour que l’enfant puisse développer de véritables relations d’attachement, avec les personnes éducatrices, alors ni l’enfant ni les relations à la mère n’en pâtissent. C’est exactement la même chose pour le couple parental. Si on permet à l’enfant de se sentir en sécurité quand il est chez son père, en étant en contact suffisamment régulier pour développer une véritable relation d’attachement, alors on permet à cet enfant de se sentir en sécurité quel que soit le parent chez lequel il se trouve.

Ce qui va impacter le développement de l’enfant, ce n’est pas les questions matérielles comme les déplacements d’une maison à l’autre, c’est la qualité de la relation que l’enfant va pouvoir entretenir avec chacun de ses parents. Cette qualité de relation, elle reste dépendante du fait de pouvoir être suffisamment en contact avec le parent. Si l’enfant est privé de voir son père suffisamment il ne peut pas créer de relation d’attachement sécurisante avec lui. C’est un fait.

Récemment à Nantes, a été évaluée la qualité du lien d’attachement selon le mode de résidence. Les enfants qui vivent en résidence alternée ne sont pas plus insécurisés que les autres. Ces enfants présentent moins de difficultés comportementales, agressivité, hyperactivité, attention, que les enfants qui vivent en résidence principale. Ils semblent protégés par rapport à d’autres enfants en ce qui concerne la qualité de la relation d’attachement.

La loi pourrait encourager le changement sociétal

Bien évidemment, les cas individuels ne rentrent jamais totalement dans les résultats des études statistiques à grande échelle. Cependant, comme dans bien d’autres situations concernant la santé publique, ces études sur de grandes populations devraient guider le législateur, pour prévenir les conséquences négatives de la séparation des parents sur les enfants.

Ces études montrent que l’un des facteurs favorables au bien-être et au développement de l’enfant consiste à lui permettre de maintenir ou de renforcer les relations d’attachement à ses parents. L’important est donc de chercher à étendre au maximum le temps que l’enfant peut vivre chez chacun de ses parents.