Europe 1 : Serge Hefez commente les dires des parents et des enfants sur leur vie en résidence alternée

Voici le troisième billet sur l’émission de Eve Roger sur Europe 1, du 25 juillet dernier, qui s’intéresse à la résidence alternée qui se développe nettement en France ces dernières années.

Le premier billet était consacré aux témoignages des auditeurs ayant vécu, ou vivant encore, la résidence alternée en étant enfant. Ils montrent que cet arrangement leur permet de profiter de la complémentarité des parents et de garder, en étant jeunes adultes, des relations équilibrées avec eux. Ces jeunes remercient leurs parents d’avoir fait ce choix de résidence.

Le deuxième billet était centré sur les parents. Les deux témoignages de l’émission montrent comment les parents doivent se battre contre les préjugés et les habitudes. pour faire vivre la coparentalité. Ils rejoignent ainsi des témoignages publiés par La Croix, cet été également.

Malgré les difficultés, tous ces parents ont mis en application la loi de 2002. Ces parents ont soutenu l’intérêt supérieur de leurs enfants en répondant à leurs besoins, en s’adaptant à leur évolution et en respectant l’autre parent.

Aujourd’hui, nous nous intéressons aux commentaires de ces témoignages par Serge Hefez, psychiatre au service de l’enfant et de l’adolescent, à l’hôpital de La Pitié-Salpétrière à Paris. Récemment, Serge Hefez a signé, avec nous et d’autres, une tribune dans Le Monde pour appeler à renouveler la loi famille. Serge Hefez a approuvé ce billet avant publication.

La résidence alternée : un plus pour les enfants

Serge Hefez note qu’il y a de plus en plus d’enfants qui vivent en résidence alternée et qu’il y en aura vraisemblablement de plus en plus dans les années qui viennent. Il reçoit régulièrement des couples et des familles qui ont choisi ce mode de résidence. Ces parents anticipent le fait que la résidence alternée sera un plus pour leur enfant et pour eux personnellement. Donc, ils font tout pour que cela se passe bien et, de fait, cela se passe bien.

Les enfants sont très épanouis du fait d’avoir une relation équilibrée entre leur père et leur mère, et bien souvent entre la famille de leur père et celle de leur mère. Comme ces parents doivent souvent se mettre d’accord sur la vie de l’enfant, cela veut dire qu’ils sont en relation et en communication. Donc l’enfant ne se sent plus pris dans des conflits de loyauté où il doit choisir entre son père et sa mère.

Selon Serge Hefez, la résidence alternée ne représente que 15 à 20 % des situations. Donc ce sont des situations choisies et l’on fait tout pour que cela se passe bien. Le problème, là où les choses se passent moins bien, c’est quand la résidence alternée est imposée à des parents qui n’en veulent pas ou qui sont très en conflit.

Nous ajoutons que la question du conflit est délicate. Comme nous l’avions noté dans un billet précédent, le conflit parental est souvent mal défini et il peut être confondu avec le litige. Or, le litige en justice est une action citoyenne en cas de désaccord non résolu : ne pas porter son désaccord, en justice, notamment devant une cour d’Appel, peut être interprété comme un accord avec la situation, notamment avec le jugement précédent. De plus, un conflit qui dure doit alerter. Cela peut être le signe d’un « conflit » alimenté par un seul parent. Dans ce cas, si l’absence de conflit devient un critère pour valider la résidence alternée, alors le parent qui subit le « conflit » est toujours débouté de sa demande de faire vivre ses enfants en résidence alternée.

Le sens de la résidence alternée : maintenir les liens aux deux parents

Serge Hefez rappelle que le sens de la résidence alternée, c’est que l’enfant ne perde pas les liens avec un parent. C’est un principe qui fait que les deux parents vont exercer conjointement leur parentalité. Cela ne veut pas dire que la résidence alternée c’est une semaine chez l’un, une semaine chez l’autre. Toutes les possibilités d’aménagement autour de ce principe, c’est la résidence alternée.

En réponse à la journaliste, le psychiatre précise comment reconnaître un enfant qui vit mal la résidence alternée : c’est un enfant qui pleure, qui a du mal à s’endormir, qui fait des cauchemars, qui s’alimente mal. Il rappelle que les bébés savent très bien exprimer leur malaise intérieur.

Nous ajoutons que cela s’applique à chaque mode de résidence et pas seulement à la résidence alternée.

On doit être à l’écoute des enfants, voire ce qui leur plaît et leur déplaît. Est-ce que les conditions des changements conviennent, les chambres sont-elles adaptées, comment se passent les relations avec la belle-famille s’il y en a une ? Il faut décrypter la situation et les demandes des enfants.

Une fois que l’on a compris la demande, il faut en discuter avec l’enfant avant de décider d’une modification du système de résidence. Tout cela doit être évalué.

Serge Hefez rappelle que, dans les modes de garde traditionnels, quand l’enfant voit son père la moitié des week-ends et des vacances, on constate que l’enfant perd le lien avec son père, le lien s’effrite, il perd sa qualité. Les pères ont alors tendance à investir les enfants d’une deuxième union, ou les enfants d’une deuxième compagne. Les choses deviennent alors plus complexe.

Même les bébés peuvent vivre en résidence alternée de manière adaptée

Concernant l’âge minimum, le psychiatre rappelle que tous les enfants sont différents, n’ont pas le même mode d’attachement et sont dans des histoires familiales diverses. Donc il est très difficile de donner une espèce de calendrier type qui conviendrait à tous. Ce qui convient, dit-il, c’est que l’on s’ajuste, que les parents aient suffisamment d’intelligence et de lien entre eux, pour s’ajuster aux besoins de l’enfant.

Pour lui, il est clair que l’on ne va pas demander à un bébé de 3 ou 6 mois de passer une semaine chez l’un puis chez l’autre. Cela ne correspond pas au développement de l’enfant. Ce qui importe alors, c’est de mettre en place la résidence alternée progressivement, en testant petit à petit comment va l’enfant, comment il réagit à la séparation, comment il supporte un séjour chez chacun des parents, pendant deux jours, puis trois jours et peut-être un petit peu plus. Il faut s’adapter.

Serge Hefez trouve formidable le témoignage du père qui a demandé et mis en place la résidence alternée avec sa fille de 10 mois. Il est rare qu’à cet âge le bébé supporte une séparation d’une semaine. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut renoncer à la résidence alternée : il faut inventer des solutions adaptées.

L’adolescence : un âge qui demande des réponses souples et modifiables

Serge Hefez indique que les adolescents sont dans un moment un peu égoïste. Ils apprécient leur chambre, leurs affaires et leur petit bazar. Ils en ont besoin. Souvent avoir deux chambres est déstabilisant. C’est dans la chambre qu’ils accueillent leurs copains quand ils viennent à la maison. C’est leur territoire.

Pour lui, l’adolescence, c’est aussi un moment où l’on peut plus facilement aménager le mode de résidence parce que l’enfant devient plus autonome et que les séparations d’avec un parent ou l’autre peuvent être plus longues. On peut imaginer que pendant un an, il est la semaine chez sa mère et les week-ends chez son père et que l’année d’après cela puisse changer. Il s’agit vraiment de maintenir de la souplesse.

Dans toute situation de séparation, il faut essayer d’être au plus proche de l’enfant

En réponse à la journaliste, Serge Hefez dit que si l’enfant demande à ne plus vivre avec un parent, c’est très dur à accepter, surtout pour un parent qui fait tout ce qu’il peut pour le bien de l’enfant. Il rappelle qu’il ne faut pas le prendre comme une attaque personnelle. Il faut comprendre la demande de l’enfant dans un contexte global, chercher à comprendre ce qu’il ressent. Il faut être en dialogue avec lui.

Souvent un enfant en résidence alternée vit entre deux familles. Donc, il peut avoir une famille ou des quasi-frères et sœurs avec qui il se sent mieux. Du coup, il peut préférer vivre plutôt dans une maison, sans que cela ait à voir avec ses parents. Il faut comprendre cette demande de l’enfant.

Serge Hefez insiste pour dire que dans les situations de résidence alternée, comme dans toutes les situations de séparation, il faut être beaucoup plus proche de l’enfant. Être au plus près de ce qu’il éprouve, comment il se sent en conflit à l’intérieur de lui, par rapport à l’un de ses parents ou par rapport à l’autre. Tout cela demande de l’intelligence dans la relation.