Réexaminer la question du conflit dans la résidence alternée

Linda Nielsen vient de publier un article dans une revue scientifique internationale reconnue par l’Association Américaine de Psychologie (APA). Difficile de faire plus exigeant en termes de rigueur scientifique ! Cet article réexamine les précédents résultats des recherches à propos du lien qui existerait, ou non, entre résidence alternée et conflit parental.

Cet article nous intéresse puisqu’en France, tout particulièrement, des personnes et des organisations pensent que résidence et conflit sont liés au point d’interdire la résidence alternée (voir nos billets des 15 février et 5 avril 2017). Que montre la dernière étude de Linda Nielsen.

Linda Nielsen met en garde contre l’effet Woozle

Woozle est le nom d’un personnage de Winnie l’Ourson : les héros du livre suivent la trace de cet être qu’ils ont imaginé en tournant autour d’un arbre. Plus ils tournent et plus ils voient que les traces sont nombreuses : ils en déduisent que le Woozle est bien là puisque beaucoup de monde le suit.

En psychologie, l’effet Woozle apparaît lorsque les fréquentes citations d’une même recherche finissent par faire croire que le phénomène décrit par cette recherche est vrai, quand bien même la recherche de départ contient des erreurs. Nous connaissons bien cet effet en France où un certain courant de psys n’hésite pas à citer toujours les mêmes vieilles recherches pour décrire la résidence alternée comme néfaste aux enfants (voir notre billet du 1° février 2017).

Linda Nielsen indique alors comment se prévenir contre l’effet Woozle à propos du rôle du conflit parental sur le bienêtre des enfants en résidence alternée. Elle montre qu’il y a souvent une confusion entre corrélation et causalité : ce n’est jamais parce que deux phénomènes apparaissent en même temps que l’un est la cause de l’autre. En principe les scientifiques savent se prémunir contre ce biais mais ce n’est pas toujours le cas.

Il faut donc rester vigilant.

 Des études fondées sur le modèle de la famille américaine des années 80

Les premières études sur les effets du conflit parental sur les enfants selon leur mode de résidence datent des années 1980. Elles ont marqué la manière de penser la question.

A cette époque, il était généralement entendu que les enfants avaient besoin d’un maximum de temps avec leur mère, que les parents soient ensemble ou séparés. La mère restait donc au foyer et le père allait au bureau ou à l’usine. Ces croyances étaient inscrites aussi dans les lois qui privilégiaient l’arrangement « un week-end sur deux et la moitié des vacances », ce qui correspond en France à l’arrangement classique strict.

L’une de ces études, celle de Johnston et ses collègues (1989), est citée régulièrement dans certaines recherches et dans les livres américains à grand tirage qui fustigent la résidence alternée pour les enfants. En fait, cette étude pionnière a été souvent mal interprétée, au grand regret de ses auteurs.

Il y a 30 ans, Johnston et ses collègues ont enquêté auprès de 100 familles aux revenus modestes dans la région de San Francisco. Elles avaient été signalées par le tribunal car elles n’avaient pu résoudre leur problème de garde des enfants, quatre ans après la séparation. Il s’agit donc d’un échantillon très spécial et les chercheurs ont immédiatement mis en garde sur ce point.

L’étude montre des effets différenciés du conflit selon que les enfants sont en résidence pleine ou alternée, ou selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Cependant, ces différences ne sont pas significatives précisent les auteurs. Dans leur étude, les enfants dont les parents sont en conflit récurrent ne se distinguent pas de ceux dont les parents ont des rapports ordinaires.

Ils écrivent alors que leurs résultats, tirés d’un échantillon trop spécifique, ne doivent pas être utilisés pour décourager les parents d’essayer la résidence alternée ou pour prendre de décisions de politique familiale.

Leur résultat est nuancé car le conflit est médié, comme cela est aujourd’hui admis dès que l’on réfléchit à cette question avec distance (voir notre billet du 9 mars 2016). L’étude de Johnston et ses collègues montre que le niveau de conflit des parents n’a pas d’effet sur le bienêtre des enfants si ceux-ci sont tenus en dehors du conflit. En revanche, c’est le fait de se servir de l’enfant dans le conflit qui lui est néfaste. En cas de haut conflit, les chercheurs préconisent donc d’organiser les transitions dans un lieu neutre, la crèche ou l’école par exemple.

Une partie des résultats est utilisée pour plaider contre la résidence alternée

D’autres études ont lieu à la même époque, dans le même secteur de San Francisco. Quand les parents sont en conflit, ces études montrent des effets négatifs sur les enfants vivant en résidence alternée mais elles n’étudient pas les effets sur les enfants vivant en résidence pleine. Les conclusions ne disent donc rien des effets du conflit selon le mode de résidence car ce n’est pas la question que se posaient les chercheurs.

Linda Nielsen étudie très en détail les manières dont les résultats des recherches ont été mal diffusés par des personnes qui n’ont pas tenu compte des limites que les chercheurs donnent à leurs résultats.

Ces résultats partiels sont malheureusement repris par des études plus récentes. Linda Nielsen cite l’étude de McIntosh, en Australie, qui comporte des biais méthodologiques reconnus par leurs auteurs eux-mêmes. Selon cette étude, les adolescents en résidence alternée déplorent plus de conflit parental violent que ceux en résidence pleine. Les chercheurs ont précisé que de nombreux parents qui n’avaient plus la responsabilité de leurs enfants avaient rompu tout contact, ce qui explique l’absence de conflit en résidence pleine. Cette étude australienne est cependant régulièrement utilisée en France pour soutenir que la résidence alternée serait néfaste aux enfants.

Rendez-vous à Boston

Linda Nielsen présentera sa recherche lors de la Conférence Internationale sur la Résidence Alternée, qui se tiendra du 29 au 30 mai 2017, à Boston (Massachusetts, USA). Cette conférence est organisée de manière conjointe par l’Organisation Nationale des Parents (NPO-USA) et le Conseil International sur la Résidence Alternée (CIRA/ICSP).