Témoignage : quand la justice freine la coparentalité

Nous terminons la publication du témoignage du père que nous avons appelé Enzo.

Cette personne et son expérience permettent de poser la question de la fabrique de la décision de justice en ce qui concerne la résidence des enfants, comment cette décision peut nourrir la volonté de conflit d’un parent et mettre en péril la situation financière d’un parent (voir nos billets des 1° et 8 décembre 2016).

Ce témoignage est long, nous l’avons traité en plusieurs semaines. Ce dernier billet aborde le fonctionnement de la justice familiale.

Un fonctionnement de la justice qui peut entraver l’exercice de la coparentalité

Comme d’autres, Enzo n’est vraiment pas satisfait du fonctionnement de la justice familiale. Comme d’autres, il en vient à ne plus croire en la Justice.

Ici encore son expérience est exemplaire du décalage qui peut exister, dans certains cas, entre le monde judiciaire et la vie réelle des justiciables.

Enzo explique : « Personnellement, je me suis fait défoncé par une avocate dont le seul objectif était de faire gagner sa cliente… Le mensonge a été utilisé, le dénigrement, la menace, etc… ce n’est pas acceptable, car cela nourrit un potentiel conflit à venir. Par exemple, comment puis-je faire confiance à une femme qui, alors que j’avais ouvert la porte de chez moi pour que les enfants puissent montrer à leur mère leur lieu de vie, utilise cela contre moi pour expliquer au juge que je vis dans une très grande maison, ce qui était faux.

Je suis étonné que les juges ne punissent pas le mensonge, même quand il est prouvé.

J’ai compris à mes dépends que l’accord entre les parents n’a aucune valeur, même s’il est écrit. Malgré le fait que nous nous soyons mis d’accord en juillet sur l’organisation de la rentrée scolaire, la mère est revenue sur cet accord quelques jours avant la rentrée. Elle a porté plainte pour non-présentation d’enfant et la justice lui a donné raison. C’est incompréhensible. »

Le cas de Enzo met en avant les réformes à faire pour faciliter la vie des parents qui divorcent et donc de leurs enfants.

Il faudrait simplifier les procédures en allant vers la médiation et la conciliation

Enzo explique : « Dans un cas comme le nôtre, il n’est pas nécessaire de passer par un jugement comme je l’ai vécu. Il n’est pas non plus nécessaire de passer par des avocats pour nous défendre, car il n’y a aucune faute de personne. Il suffirait d’un entretien avec le juge, d’un véritable entretien et non d’une audience tellement impersonnelle et douloureuse.

Comment comprendre une justice qui, lorsque vous demandez de faire passer la transition du lundi soir au vendredi soir en argumentant de l’intérêt des enfants, lorsque vous expliquez aussi les difficultés avec la CAF à cause du jugement qui a attribué la résidence chez un seul parent alors que nous sommes sur une alternance 6-8, répond qu’il n’y a pas d’éléments nouveaux et, du coup, laisse la situation telle qu’elle est ?

Je ne me suis senti ni respecté ni écouté comme père par les juges alors que je participe pleinement à l’éducation de mes enfants. »

Le cas d’Enzo pose la question des finalités et du fonctionnement de la justice familiale. La priorité est donnée à l’intérêt supérieur de l’enfant mais ce dernier n’est défini qu’à travers des critères assez flous ou peu justifiés. Du coup, en cas de désaccord sur le mode de résidence, certaines juridictions privilégient la résidence pleine chez la mère. Pourtant, la résolution des désaccords entre les parents pourrait être la clé du soutien de l’intérêt supérieur de l’enfant. On le sait, la résidence alternée, qui n’est pas nécessairement l’alternance 7-7, peut permettre la résolution de ces désaccords parentaux (pour des précisions sur désaccord et conflit, voir notre billet du 9 mars 2016).

Enzo n’a pas choisi d’avocat agressif car il avait comme idée que la justice permettrait de fixer un accord pour le bien des enfants. Il découvre à l’audience que l’avocat de la mère est très attaquant. Dans son exemple, la décision finale se trouve déséquilibrée aux dépends du moins agressif. Il n’a pas fait appel du premier jugement dans une idée de pacification, importante pour les enfants puisque le père comme la mère tiennent à ce que les relations avec chacun d’eux se poursuivent.

Pour la justice, cela vaut accord avec le jugement. Du coup, quand Enzo fera appel, au bout de deux ans car sa situation financière est rendue intenable par le jugement, il sera accusé d’envenimer le conflit parental à propos d’un jugement qu’il a accepté puisqu’il n’a pas fait appel.

Il faudrait privilégier la coparentalité en établissant la résidence chez les deux parents

Enzo le dit très bien : « Si un parent cherche la résidence principale alors que l’autre demande une résidence alternée, le conflit est obligatoire… la justice doit permettre aux enfants de voir et vivre avec les deux parents.

La justice devrait aussi s’interroger : si un parent s’oppose à la résidence alternée, est-ce pour son intérêt propre, ou est-ce pour protéger les enfants ?

Dans mon cas, il n’y avait rien contre moi, et donc il n’y avait rien qui puisse s’opposer à la résidence alternée complète, pas seulement le temps passé avec chaque parent mais aussi l’attribution de résidence des enfants. La décision du juge est incompréhensible. »

Il faudrait prendre collégialement les décisions graves qui engagent la vie des enfants.

Pour Enzo, « Il est aussi incompréhensible que le juge ait un pouvoir aussi important : selon le tribunal, une même situation peut être jugée très différemment. Ce n’est pas normal. »

Enzo témoigne de faits qui apparaissent aussi dans les recherches que nous avons rapportées dans ce blog.

Il est connu de tous les spécialistes, dès l’école de la magistrature, que les décisions des juges sont influencées par des éléments extérieurs au cas jugé (voir notre billet du 8 juin 2016).

Il est supposé, par un institut officiel comme l’INED, que certains tribunaux sont moins favorables que d’autres à la résidence alternée et que les enfants ne sont donc pas traités de manière égale sur tout le territoire (voir notre billet du 14 septembre 2016).

Enfin, certains envisagent de demander à un collectif d’experts de justifier les refus de résidence alternée de manière à aider les juges à contrer ces préjugés dont ils ne sont pas les seules victimes (voir notre billet du 21 septembre 2016).

Trois réformes qui sont souhaitables et déjà étudiées ou votées en partie

Ce témoignage étendu sur trois billets nourrit les perspectives de réformes que nous soutenons dans ce blog :

1- Décider la résidence alternée, si possible égalitaire, dès qu’un parent la demande. Un texte législatif, l’un voté par le Sénat, et l’autre proposé à l’Assemblée existent déjà dans ce sens.

2- Décider la résidence de l’enfant chez ses deux parents pour supprimer le fait qu’un des parents, souvent le père, n’ait qu’un droit de visite. La loi dite « famille » a été votée par l’Assemblée, elle est en attente au Sénat.

3- Réduire le poids de la judiciarisation et privilégier la médiation dans tous les cas où les enfants ne sont pas en danger. Ici encore des textes existent, notamment le rapport du groupe de travail présidé par le juge Marc Juston, dans le cadre de la préparation du projet de loi famille, depuis reporté.

Appel à témoignages

Ce témoignage a été recueilli par téléphone et questionnaire écrit. Sa transcription dans ce billet a été validée par l’interviewé.

D’autres témoignages d’expérience de résidence alternée sont bienvenus. Merci de nous contacter à partir du blog pour que nous vous donnions la procédure de recueil des témoignages.