Au Kentucky et en Arizona : violences domestiques et résidence alternée

L’intersection entre résidence alternée et violences domestiques est une question importante. Nous l’avons déjà abordée lors de la 4° conférence internationale sur la résidence alternée (CIRA-ICSP), à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, en novembre 2018.

C’est un sujet que nous traiterons spécialement lors de la 5° conférence ICSP à Vancouver.

Cette question revient dans l’actualité à l’occasion d’un tweet annonçant une baisse des violences conjugales au Kentucky sous l’effet de la loi instaurant la résidence alternée comme première option.

Qu’en est-il ?

La loi au Kentucky : les enfants ont besoin de leurs parents

Le tweet renvoie à une tribune de Matt Hale dans USA Today. Matt Hale est le responsable pour le Kentucky de National Parents Organisation (NPO). Cette association partage les buts du CIRA-ICSP en cherchant à promouvoir l’égalité parentale et le maintien des liens entre l’enfant et les parents séparés. Les deux organisations regroupent des scientifiques, des professionnels et des membres de la société civile avec un souci d’égalité de genre.

Matt Hale est un membre actif de NPO et il a œuvré pour faire changer la loi famille au Kentucky. Dans une première étape, en 2017, une loi, votée à l’unanimité, a systématisé la mise en place de la résidence alternée de manière provisoire durant l’instruction du juge aux affaires familiales. Devant le succès de cette mesure, la loi a été révisée en 2018. Toujours à l’unanimité, a été votée une loi établissant la résidence alternée comme présomption réfutable, c’est-à-dire comme première option envisagée par le juge.

L’anniversaire de cette loi est célébré par The Gleaner à partir du témoignage d’un père qui a obtenu que sa fille vive en résidence alternée avec ses deux parents.

Avant la loi, ce père avait quelques contacts avec sa fille et de mauvaises relations avec la mère. Il craignait de lancer une action en justice qui pouvait se terminer par une diminution des contacts avec sa fille.

Après le vote de la loi, ce père demande à la justice de statuer sur le mode de résidence de sa fille.

Sa femme et lui sont accueillis par un juge aux affaires familiales qui leur déclare d’emblée : « Un enfant a besoin de ses deux parents, une solution doit être trouvée pour cela. » La résidence alternée est alors décidée. Depuis, les deux parents se parlent régulièrement afin de se mettre d’accord sur le quotidien de leur enfant.

La première joie du père a été de vivre une expérience de la vie quotidienne avec sa fille : ils sont allés ensemble, et pour la première fois, à l’épicerie du quartier !

Violences domestiques : une étude spéciale de chaque cas

La loi énonce ce que nous traduisons par : « Il doit exister une présomption, réfutable par une prépondérance de preuves, que l’autorité parentale et le partage égal du temps parental sont dans l’intérêt supérieur de l’enfant. S’il y a lieu de s’écarter du temps parental égal, le tribunal doit établir un arrangement de résidence qui maximise le temps que chaque parent partage avec l’enfant et qui est compatible avec le bien-être de ce dernier. »

La Cour doit prendre en compte, dans son jugement, « toute preuve d’actes de violence et de mauvais traitements au foyer, tout renseignement et tout dossier faisant état de violences familiales qui ont été commises par l’un des parents contre un enfant ou contre l’autre parent. Le tribunal détermine dans quelle mesure la violence familiale et les mauvais traitements ont affecté l’enfant et la relation de l’enfant avec chacun des parents. Il tient dûment compte des efforts déployés par l’un des parents pour mener à terme avec succès tout traitement, conseil ou programme en matière de violence familiale. »

Cette prise en compte de possibles violences domestiques dès le début de la procédure a été également instaurée par le Danemark, dans la loi passée ce printemps dernier.

C’est aussi une conclusion du Conseil International sur la Résidence Alternée (CIRA-ICSP) qui énonce que la résidence alternée comme première option « s’applique à la plupart des enfants et des familles, y compris les familles très conflictuelles, mais pas aux situations de violence familiale et de maltraitance avérées. Dans de tels cas, les conditions de résidence des enfants sont à étudier avec beaucoup d’attention et de précautions. »

En France, il est clair que les cas de violences sur enfant relèvent prioritairement de la protection de l’enfance et du juge des enfants. Les questions de résidence alternée passent en second. C’est, avant tout, la question du maintien de l’autorité parentale pour le parent violent qui est envisagée par la loi. Ensuite, vient la question de l’organisation d’un possible droit de visite, souvent de manière médiatisée. La loi est donc plutôt protectrice en ce domaine.

La résidence alternée fait-elle baisser la violence domestique ?

La tribune de Matt Hale va dans le sens des résultats des recherches étudiées par Linda Nielsen qui montrent que maintenir des relations fortes avec les deux parents, en vivant en résidence alternée, permet de surmonter les dommages créés par le faible niveau de coopération des parents ou par le haut conflit, même avec violence. Ce qui est néfaste, c’est d’inclure l’enfant dans la violence conjugale, que cela soit en résidence alternée ou en résidence pleine.

Dans sa tribune Matt Hale remarque que les cas de violences domestiques ont baissé depuis la promulgation de la loi. Bien que l’augmentation de la population du Kentucky et le durcissement des lois contre la violence domestique ont fait que plus de cas peuvent être signalés, les statistiques officielles montrent une baisse du nombre des conflits familiaux portés en justice et du nombre de signalements pour violence. Ces cas ont baissé une première fois lors de la loi de 2017 et ont chuté après celle de 2018.

Il estime que cela résulte de la loi et particulièrement du « facteur du parent coopérant ». La loi fait que le juge détermine la résidence de l’enfant en fonction de la manière dont chaque parent coopère avec l’autre et peut aider l’autre à avoir un lien utile à l’enfant. Cela réduit la tentation d’animer les conflits.

Il rapporte les propos de Alexandra Beckman, la présidente de l’association sur l’Aliénation Parentale du Kentucky, qui dit que « il est évident que la résidence alternée fait baisser la violence domestique ! » Sur son blog, elle explique que, au début, elle avait la garde pleine et ne s’en sortait pas avec ses enfants et ses faibles revenus. Elle dit que la résidence alternée lui a permis de travailler et, ainsi, de mieux profiter de ses enfants la semaine où elle les a chez elle.

La présidente de ce qui est l’équivalent de la Protection de l’Enfance, Lucinda Masterton, va dans le même sens en attestant que de moins en moins de dossiers sont portés en justice.

Comme la résidence alternée oblige les parents à se parler, ils vont moins en justice. Du côté des juges, cette baisse dégage du temps pour étudier les cas de violence les plus délicats.

La tribune de Mate Hale se termine par des considérations économiques. Puisque la résidence alternée première option fait baisser le nombre de dossiers portés en justice, elle bénéficie aux contribuables : leur impôt est mieux utilisé. Elle bénéficie aux familles : leur argent va aux enfants et à l’économie réelle plutôt qu’aux professionnels de la justice.

Des études à développer

Nous avons eu accès aux données de Matt Hale par l’intermédiaire de William Fabricius, de l’université d’Arizona. Nous pensons que ces données devraient être comparées à celles d’autres États de manière à assurer que c’est bien la loi qui a fait baisser les cas de violences domestiques. L’intérêt de la tribune de Matt Hale réside dans la correspondance entre les chiffres et le ressenti des acteurs de terrain.

En Arizona, la loi est en partie semblable à celle du Kentucky, mais elle encourage moins directement la résidence alternée égalitaire : elle cherche à étendre au maximum le temps passé avec chaque parent. Une étude portant uniquement sur le ressenti des professionnels montre que ces personnes ont un avis très favorable sur cette loi car elle soutient l’intérêt supérieur de l’enfant. Cependant, les avocats et les psychiatres ont l’impression d’une légère augmentation des cas de violences domestiques. En revanche, les juges et les acteurs de la médiation ne rapportent aucune modification sur ce plan.

William Fabricius réclame des fonds pour conduire des recherches qui croisent données chiffrées et ressentis des acteurs. Il a bien raison !