Nous poursuivons la lecture du dossier spécial Résidence Alternée publié par la Revue du Droit de la Famille dans sa livraison de juillet-août 2019. Nous nous intéressons cette semaine à la deuxième partie de l’article que Caroline Siffrein-Blanc consacre à l’étude des décisions de quatre cours d’appel en France.
Caroline Siffrein-Blanc est maître de conférence à l’université d’Aix-Marseille. Dans cet article, la chercheuse reprend l’intervention qu’elle avait faite lors de la Conférence Internationale sur la Résidence Alternée, à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, en novembre 2018. Nous avons consacré un précédent billet au début de son article.
Dans ce billet, nous retraçons ce que conclut la chercheuse en ce qui concerne la manière dont les juges considèrent le conflit des parents, les repères dans la vie de l’enfant et son âge.
L’étude compare les 55 décisions prises par les cours d’appel de Versailles, Lyon, Marseille et Bordeaux, en 2016 et 2017.
Divergences des juges quant au conflit parental
De son analyse, Caroline Siffrein-Blanc ressort quatre positions divergentes des juges pour décider de la résidence alternée en cas de mésentente des parents.
Pour certains juges, notamment à Bordeaux, l’accord des parents permet de décider la résidence alternée. Pour d’autres, notamment à Aix et Lyon, leur mésentente bloque la décision. Pour certains, à Versailles et Lyon, le conflit n’évince pas à lui seul la résidence alternée. Pour d’autres juges, à Versailles en particulier, la résidence alternée est de nature à réduire les conflits.
Il y a ici des divergences de principe entre les juges qui font de la résidence alternée une modalité plus ou moins favorisée selon les juridictions devant lesquelles sont portés les appels.
Le maintien des repères de l’enfant conduit au statu quo
L’analyse des décisions des cours d’appel montre que le maintien des repères de l’enfant et de sa stabilité est un critère fondamental pour apprécier son intérêt. En effet, les juges d’appel tendent à maintenir le système mis en place par les juges aux affaires familiales, ceux-ci privilégiant le maintien de la situation antérieure si elle convient à l’enfant.
Dans ces conditions, l’auteure s’interroge sur l’effectivité du droit d’appel.
Nous rajoutons que ce droit d’appel est effectivement très ambivalent puisque, dans certaines décisions, il est reproché à un des parents de ne pas avoir fait appel d’une décision précédente, ce qui aux yeux des juges correspond à la pleine acceptation de cette décision.
L’analyse des décisions d’appel montre que le parent qui demande la résidence alternée, doit apporter une preuve de son bénéfice pour l’enfant, ou montrer le préjudice de la situation en cours. Le parent voulant faire cesser la résidence alternée doit simplement montrer qu’elle est préjudiciable à l’enfant.
Ici encore, les juridictions justifient de leurs décisions à partir d’éléments tout à fait contradictoires. Pour certains juges (Bordeaux), note Caroline Siffrein-Blanc, la résidence alternée est source de perturbations que l’enfant doit être capable de surmonter. Pour d’autres (Versailles), la résidence alternée est un modèle simple qui crée des repères prévisibles, stables et réguliers.
Le bien-être de l’enfant est apprécié par l’absence de manifestations somatiques (troubles du sommeil, etc.) et par l’atteinte d’un bon niveau de résultats scolaires.
Divergences criantes sur la question de l’âge des enfants
Le critère d’âge ne figure pas dans la liste des six critères pouvant être pris en considération pour décider (article 373-2-11 du code civil).
De fait, dans certaines juridictions, les juges d’appel font remarquer, aux juges du fond comme aux parents, que le critère d’âge ne peut pas justifier du mode de résidence.
Dans d’autres tribunaux, l’étude montre que des juges continuent de s’appuyer sur un critère d’âge pour écarter la résidence alternée. Cette posture est contraire à l’esprit de la loi puisque la décision ne devrait pas dépendre d’un principe général mais devrait être prise au cas par cas, selon la situation de l’enfant et de ses parents.
Nous ajoutons que si le jeune âge justifiait vraiment la résidence pleine chez un parent, la décision devrait être assortie d’une révision automatique lorsque l’enfant aurait atteint un âge qui réfute ce critère. Il est pour le moins étrange qu’une décision prise en fonction d’un âge donné ne puisse pas se modifier avec le développement ordinaire de l’enfant. De fait, le franchissement des étapes de la vie (entrée à l’école, passage au collège, notamment) ne semble pas représenter un élément nouveau justifiant un changement de mode de résidence.
Sans parler d’âge, le besoin de « maternage » de l’enfant apparaît parfois comme un critère interdisant la résidence alternée pour quelques juges (Bordeaux). De manière pertinente, Caroline Siffrein-Blanc se demande alors comment feront ces juges quand ils décideront de la résidence des enfants dans les divorces de parents homosexuels !
Une justice inégale sur le territoire
Caroline Siffrein-Blanc conclut en notant que son étude révèle que les juges apprécient différemment les critères permettant de décider du mode de résidence de l’enfant. Des tendances apparaissent selon les juridictions, ce qui rend la justice inégale sur le territoire.
Pour elle, l’évolution des modèles familiaux invite à penser la question de la résidence des enfants de parents séparés sous l’angle de leurs liens et de leurs besoins, en ce disant qu’il faudrait en préserver la multiplicité.
Ces conclusions convergent avec des résultats issus de divers domaines de recherche et de plusieurs universités françaises. Nous les avons présentés dans plusieurs billets.
Marlène Jouan, de l’université Grenoble Alpes, explique comment les nouvelles façons de devenir parent et de faire famille bousculent nos représentations. Ces nouvelles pratiques sont des opportunités pour repenser ce que c’est que d’être parent et de le rester après rupture du couple. Elle nous a écrit s’inspirer des travaux de Gabrielle Radica, de l’université de Lille. Les questions de filiation sont alors au centre des réflexions.
Serge Hefez, de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris, insiste pour dire comment la résidence alternée découle du principe que l’enfant a besoin de relations personnelles, directes et régulières avec ses parents. Dans ce sens, la résidence alternée ne se limite pas à l’alternance hebdomadaire car d’autres formules, plus à l’écoute des besoins de l’enfant, existent. Il a commenté et approuvé notre récent billet retraçant son intervention à la radio.
Fabien Bacro, de l’université de Nantes, montre que le jeune enfant construit plusieurs liens d’attachement en parallèle. Les parents jouent des rôles qui se complètent selon l’âge et les situations, sans qu’un parent soit toujours cantonné au même rôle. Cependant, préserver le lien d’attachement au père est fondamental dans le développement et même la réussite scolaire.
Adeline Gouttenoire, de l’université de Bordeaux, étudie les plans parentaux extra-judiciaires. Elle montre comment ils peuvent aider à surmonter les difficultés pratiques générées par les résidences multiples des enfants de couples séparés.
Ces convergences vont dans le sens du renouvellement de la loi famille, comme l’ont proposé les signataires de la tribune du journal Le Monde ou comme le recommande l’étude de Blandine Mallevaey.