Témoignage : les détails de l’arrangement peuvent nourrir le conflit

Nous poursuivons le témoignage d’un père, que nous avons appelé Enzo. Il a deux enfants qui avaient 3 et 6 ans au moment de la séparation, il y a 6 ans. Ces enfants vivent en résidence alternée sous un rythme 6-8 qui leur permet de vivre avec leurs deux parents. En revanche, le statut du père est celui de « visiteur », la résidence principale étant chez la mère. Ce père et son expérience permettent de poser la question de la fabrique de la décision de justice en ce qui concerne la résidence des enfants et comment cette décision peut nourrir la volonté de conflit d’un parent (voir notre billet du 1° décembre 2016).

Ce témoignage que nous avons reçu est long. Nous le traitons en plusieurs billets (voir notre billet du 7 décembre). Celui d’aujourd’hui aborde les questions du conflit parental et de la gestion financière.

Un niveau de conflit qui reste élevé mais ne semble pas nuire aux enfants

Sans être très élevé, le conflit entre les parents était important au départ, avec des désaccords fréquents à propos de la santé, de l’école ou des loisirs ou des questions financières, voire des disputes à propos du respect du planning de la résidence alternée ou des questions financières. Enzo l’estime à 6 sur une échelle de 10. Aujourd’hui les choses ont empiré, la mère faisant des recours à la police, aux services sociaux ou à la justice.

Enzo explique : « Au début de la séparation, il y avait beaucoup de communication parentale, celle-ci est désormais totalement sabotée par la mère. En gros, le conflit parental est généré par la mère pour lui permettre de maintenir ses avantages financiers et les enfants commencent à être témoins du conflit parental. »

Malgré tout, il ajoute : « La mère comme moi avons toujours cherché à protéger nos enfants, ce qui est positif. Ce que j’apprécie, c’est que je continue à voir mes enfants et que, cet arrangement 6-8, c’est quasiment une résidence alternée. Pour les enfants, ils vivent réellement avec leur père et sa famille recomposée. Je peux avoir un réel rôle éducatif, et cela se passe très bien avec eux. Les enfants sont heureux de vivre avec leur père et leur mère. »

L’état des enfants sur le plan scolaire est excellent pour tous les deux. Enzo ne rapporte aucun problème scolaire et les enfants ont de bons résultats. Cependant, l’école est un point de conflit avec la mère, qui lui impose l’école privée ; choix qui a été confirmé par le jugement.

Pour lui, les enfants sont en bonne santé tous les deux. Cependant, la mère ne le laisse pas participer, ne respecte pas son autorité parentale et donc le principe de coparentalité, et décide toujours seule : « Par exemple, ma fille devrait faire de la kiné pour des jambes en X, mais la mère le refuse. »

Des difficultés financières extrêmes pour le parent non-résident

Actuellement, en cas de résidence alternée, les parents peuvent opter – d’un commun accord – pour un partage des allocations familiales. Pour les autres prestations, il leur revient de décider lequel des parents pourra les percevoir. Mais tout tient à l’accord des parents.

La situation où la résidence des enfants est chez un seul parent avec un arrangement proche de la résidence alternée peut aboutir à des déséquilibres financiers entre les deux parents. Quand les charges et les allocations ne sont pas réparties équitablement, ce déséquilibre peut mettre en extrême difficulté le parent non-résident. Le témoignage d’Enzo, un artisan qui comme d’autres travailleurs indépendants ne gagne pas énormément, est exemplaire.

Enzo explique ainsi sa situation vis-à-vis des allocations :  « Les enfants vivent chez moi quasiment à mi-temps, mais administrativement, ils ne sont pas là. Par conséquent, la CAF me considère comme défaillant, et verse à la mère une allocation supplémentaire. Pourtant, j’accueille mes enfants à mi-temps et je paye la moitié des charges. Je suis considéré par les administrations de la même façon qu’un père qui aurait abandonné ses enfants. C’est incompréhensible. La CAF et autres administrations (fiscales, santé, etc.) doivent impérativement apporter une équité dans les situations des parents séparés. Il y a là un réel problème, qui a d’ailleurs été largement relevé par le médiateur de la CAF que j’ai rencontré, mais qui n’a toujours pas été pris en compte. »

Cette situation lui pose des problèmes économiques graves : « Les revenus de mon foyer sont faibles (16 000 euros l’année dernière), et mes deux grands enfants ne sont pas comptabilisés par la CAF. Je n’ai donc aucune aide pour eux, mais je dois payer la moitié des charges. Ce n’est pas facile, pour ne pas dire impossible, surtout depuis que le juge a validé l’inscription de mes enfants dans une école privée à la suite de la demande de la mère. Par conséquent, on me met dans une situation financière où je vais commencer à devenir défaillant, puisque je ne peux plus payer ma part de charges scolaires (l’école privée et la cantine) et extrascolaires (clubs sportifs, etc…). »

Les détails de l’arrangement peuvent alimenter les tentatives d’aliénation parentale

La résidence des enfants chez un seul parent ne calme pas le conflit. Elle risque de mettre le parent non-résident sous la dépendance de l’autre.

Enzo raconte : « La mère est en train de bloquer ma demande de carte d’identité pour moi fils. Elle a un passeport pour lui, qu’elle ne veut pas me donner. Comme elle a la résidence principale, je ne peux pas faire la demande sans la copie d’une preuve du lieu de domicile de mes enfants chez leur mère… Je n’ai donc plus de pièce d’identité pour mes enfants, ce qui me posera un problème la prochaine fois que je devrai partir en vacances avec eux. »

Pour peu que l’autre parent ne soit pas bien équilibré psychiquement, les détails de l’arrangement de résidence peuvent laisser la porte ouverte à l’aliénation parentale. Dans son témoignage, Enzo rapporte des éléments qui sont proches de ceux qui sont étudiés dans le dossier de Sciences Humaines dont nous avons parlé dans notre blog du 25 mai 2016.

Ces éléments sont nourris par ce qui peut paraître des détails mais ne le sont pas : une résidence principale chez la mère mais avec un arrangement 6-8 qui correspond presque à une résidence alternée ; des transitions en cours de semaine qui perturbent les rythmes scolaires et professionnels ; une attribution déséquilibrée des charges et des allocations.

La semaine prochaine, le témoignage d’Enzo permettra d’interroger le fonctionnement de la justice familiale.

Les témoignages des deux pères que nous avons publiés sont très contrastés, sur ce plan du fonctionnement de la justice. Pour Didier, la justice a appuyé la volonté des parents de mettre en place la résidence alternée. Pour Enzo, les détails de la décision de justice semblent entraver la résolution du désaccord parental qui existait lors de leur séparation.

La mère dont nous avons publié le témoignage n’a pas fait appel à la justice – ni son ex-conjoint – car le recours à la médiation leur a permis de cadrer leur arrangement, essentiellement sur le plan financier.

Appel à témoignages

Ce témoignage a été recueilli par téléphone et questionnaire écrit. La transcription a été validée par l’interviewé.

D’autres témoignages d’expérience de résidence alternée sont bienvenus. Merci de nous contacter à partir du blog pour que nous vous donnions la procédure de recueil des témoignages.