Testosterone Rex : femmes et hommes, comme des mouches ?

Nous poursuivons et terminons notre présentation du livre de Cordelia Fine : « Testosterone Rex, myths of sex, science and society ». La semaine dernière nous avons parlé du mythe de l’homme chasseur et de la femme gardienne qui prétend refléter l’évolution humaine.

Cette semaine nous abordons les soi-disant appuis scientifiques à ce mythe. Menée dans les années 1950, la recherche scientifique qui a longtemps servi de caution aux défenseurs de la différence entre les femmes et les hommes est pourtant chargée d’erreurs méthodologiques. Aujourd’hui, sa partialité est reconnue. Ce cheminement vers une meilleure objectivité n’est pas sans rappeler celui sur la théorie de l’attachement, menée dans les mêmes années, ou la manière dont certains utilisent de manière partiale quelques recherches premières sur les effets négatifs qu’aurait la résidence alternée sur les enfants (voir nos billets des 1° et 8 février 2017).

Dans les années 1950, un appui scientifique au mythe Testoterone Rex

La recherche prend sa source dans les observations de Darwin à propos de la théorie de l’évolution. Darwin avait observé de nombreuses espèces animales et en avait conclu que les mâles se battent pour obtenir un rang social supérieur et conquérir les meilleures femelles. Pour ces compétitions, les mâles prennent de nombreux risques, notamment en arborant des tenues très voyantes comme le paon avec sa longue queue. Cette prise de risques vaudrait la peine car elle assurerait la descendance du mâle dominant. Darwin avait observé des espèces qui fonctionnent à l’inverse mais il les avaient écartées dans les exceptions.

La conclusion tirée était que la femelle n’ayant qu’un œuf ou un ovule à la fois devait prendre des précautions et choisir un mâle supérieur alors que le mâle ayant une profusion de sperme avait avantage à le disséminer chez de nombreuses femelles.

Dans les années 1950, Bateman, un biologiste, entreprend de prouver cette théorie en expérimentant avec des mouches.

Il conduit 6 séries d’expériences, dont la méthodologie est très robuste pour les moyens de l’époque (on ne connaissait ni les tests ADN ni les outils numériques). Dans son article final, il publie deux graphiques : le premier regroupe les 4 premières expériences, qui ne prouvent rien, et le deuxième montre une différence entre mâles et femelles pour les 2 dernières expériences. Dans la conclusion de l’article il met l’accent uniquement sur le deuxième graphique, qui va dans le sens de sa théorie de départ.

Cette première recherche sera longtemps citée, mais souvent en ne mentionnant que les résultats des deux dernières expériences. Le deuxième graphique de Bateman sera repris et enseigné dans les manuels et les cours aux étudiants. Ce graphique et ces résultats mettent en avant que les mâles auraient plus de partenaires que les femelles et que plus il y a de femelles et plus les mâles s’accouplent. Leur but serait de combattre pour diffuser leur descendance alors que celui des femelles serait d’être choisie par le mâle dominant.

Le mythe Testosterone Rex venait de recevoir un soutien de poids !

Un mythe qui a la vie dure malgré des fondements erronés

Aujourd’hui d’autres biologistes ont repris les résultats de Bateman. Ils montrent qu’en réalité, il n’y a pas de différences entre les mouches mâles et femelles si l’on compte tous les résultats des 6 séries d’expériences. Mais le mythe résiste et persiste !

Cordelia Fine rend compte de nombreuses études qui cherchent à montrer une différence entre hommes et femmes dans la prise de risques. Ces études sont souvent traitées par les sciences économiques car cette différence, si elle était prouvée, accréditerait l’écart de traitement entre les sexes dans les entreprises et les affaires.

Il est impossible de rendre compte ici de toutes les recherches qu’elle étudie et déconstruit. Au bout du compte, les seules études sérieuses sont celles qui montrent une mosaïque de situations.

La prise de risques est variable d’un sexe à l’autre, d’une personne à l’autre dans le même sexe et d’une situation à l’autre pour une même personne. Un chef d’entreprise, par exemple, pourra prendre des risques dans un domaine et sera très conservateur et précautionneux dans un autre. Même en mesurant les taux de testostérone, les recherches concluent à cette variabilité : certains athlètes masculins ont un taux moindre que des compétitrices féminines, par exemple.

Parallèlement, les études en biologie animale montrent, avec les méthodes d’aujourd’hui, que mêmes dans les situations de haute compétition entre mâles, les femelles ont parfois des partenaires parmi les mâles de tous les rangs. Elles montrent aussi que des rangs existent entre les femelles, que celles-ci combattent pour dominer et accéder aux ressources et que les dominatrices peuvent être aussi violentes que les mâles.

Inventer les moyens d’une meilleure égalité entre les femmes et les hommes

Cordelia Fine conclut en appelant à une meilleure égalité entre les femmes et les hommes. Elle ne peut pas aller plus loin dans ce livre académique car les moyens de cette égalité ne sont pas du ressort de la science mais relèvent des valeurs que nous portons ensemble.

Pour elle, une seule chose est certaine : arrêtons de critiquer Testosterone Rex car ce roi est mort !

Une lecture à conseiller et des idées à suivre pour comprendre ce qui se joue dans l’égalité entre les femmes et les hommes, y compris autour de la résidence des enfants après la séparation de leurs parents.