200 000 enfants par an dans les couples séparés

Notre article dans le journal en ligne The Conversation a rencontré un intérêt que nous n’avions pas soupçonné. Repris par d’autres journaux, twitté et retwitté, il a été lu par plus  de 18 600 lecteurs en une semaine. Cela démontre, s’il en était besoin, que la question de la résidence des enfants après la séparation de leurs parents est bien une question sociale et politique actuelle.

Les commentaires sur l’article nous permettent d’en préciser certains éléments. Le commentaire d’un psychologue expert, en effet, illustre l’une des idées bien ancrées qui sont évoquées en tête de l’article et qui bloquent la réflexion en France à propos de la résidence des enfants après séparation de leurs parents. Un des blocages découle de la prétention de certains spécialistes, comme ce psychologue renommé, à savoir comment les choses se passent dans la « vraie vie » et de leur rejet dans « l’ineptie », pour reprendre ses propres termes, de toute autre approche que la leur, notamment par les statistiques.

Des centaines de milliers de mineurs sont concernés

Ce professeur de psychologie oppose l’étude de la condition de vie des enfants des couples séparés, à partir de méthodes scientifiques, à la force des exemples vécus tirés de ses consultations. Cette prétendue opposition est souvent utilisée par certains tenants de l’approche pédopsychiatrique en ce qui concerne la résidence alternée. Il nous faudrait pourtant savoir utiliser les arguments qui correspondent à la question en jeu.

La question qui nous est posée est celle des conditions de vie et de développement des 200 000 enfants qui chaque année sont concernés par la séparation de leur parent et dont 75 % vivent essentiellement chez leur mère, beaucoup ne rencontrant leur père que 4 jours par mois. Les conséquences délétères de cette situation, pour les enfants mais aussi pour les mères seules, sont bien connues.

Cette question de santé publique doit donc se traiter avec les outils des politiques publiques, c’est-à-dire la recherche de données dans de grands échantillons et leur traitement statistique. Des « vignettes » qui éclairent la réalité de quelques personnes dans ces populations sont souvent utilisées pour faire comprendre à quoi correspondent les résultats, et ce sont d’utiles illustrations complémentaires.

Cet expert utilise des exemples tirés de ces consultations. Comme tous ceux de ses collègues, ses exemples sont toujours frappants, voire sidérants pour les non-spécialistes, mais, par là-même, ils troublent le débat sur les choix politiques plus qu’ils ne l’éclairent.

Réfléchissons en termes d’ensembles, comme en mathématique : à l’intérieur de la population de centaines de milliers de familles concernées par la séparation, seule une partie des enfants a besoin d’un support psychologique et parmi ces enfants, il faudrait déduire ceux qui, de toutes manières, auraient des difficultés, que leurs parents soient séparés ou non. Cette petite partie de la population est tout à fait respectable et elle doit bénéficier d’une approche personnalisée mais elle ne peut pas guider, à elle seule, les choix politiques.

Prenons un exemple, nous aussi :

Les psychologues thérapeutes de couples ne rencontrent que des couples qui ont des difficultés mais ils n’en déduisent pas que le mariage ou le concubinage sont dangereux et ils ne font pas campagne pour que mariage et concubinage soient écartés de la loi.

En résumé, l’approche psychologique est essentielle pour les personnes qui en ont besoin mais elle n’est pas la plus appropriée pour parler des besoins de populations entières.

L’arrangement classique, 2jours-12jours, devrait devenir minoritaire

Le psychologue qui commente l’article méprise le seuil de 35% du temps identifié par les études citées mais il les rejoint pour dire que ce qui compte, c’est la qualité du lien entre chaque parent et leurs enfants. A partir de ce dernier constat, plutôt trivial, il est assez facile de faire l’hypothèse que la qualité du lien va dépendre, entre autres facteurs, du nombre d’opportunités que les enfants auront de rencontrer chaque parent.

Cette hypothèse est vérifiée dans toutes les recherches actuelles : les résultats montrent qu’il faut au-moins 35 % de temps pour que les enfants puissent construire avec chaque parent des relations suffisamment fortes pour réduire les dommages provoqués par la séparation et que lorsque les enfants peuvent passer 50 % du temps avec chaque parent, ils ont un niveau de bienêtre équivalent à ceux des familles non-séparées, intactes.

Certains pédopsychiatres français se réfèrent à des études anciennes mais celles-ci comportaient des faiblesses méthodologiques corrigées par les études récentes.

En résumé, si l’on ne parle pas de pourcentages de temps mais de jours, c’est à partir de l’arrangement 5-9 (5 jours avec un parent et 9 avec l’autre, sur une période de deux semaines) que les enfants disposent d’assez de temps pour construire des relations affectives stables avec leurs deux parents. L’arrangement dit classique, un week-end sur deux, autrement dit 2-12, devrait donc devenir extrêmement minoritaire.

Un champ d’initiative pour les programmes politiques

Tout comme les délégués de l’Assemblée Parlementaire du Conseil Européen, et tout particulièrement de la députée du Luxembourg, Françoise Hetto-Gaash, nous pensons que la nouvelle frontière de l’égalité entre les femmes et les hommes passe par un plus grand respect de la responsabilité des pères dans l’éducation de leurs enfants.

Donc par une promotion de la résidence alternée et, surtout, par la limitation, à quelques cas exceptionnels, de l’utilisation de l’arrangement dit classique, un week-end sur deux, c’est-à-dire 2 jours par quinzaine.

Les politiques qui rédigent les programmes pour le prochain quinquennat ont là une belle opportunité de travailler à une meilleure égalité entre les femmes et les hommes.