Résidence alternée : état des lieux des recherches et des pratiques

Le devenir des enfants après séparation de leurs parents occupe l’actualité. Cette semaine encore un journal national publie une enquête sur la question : Comment grandir entre deux maisons ?

Ce journal constate, avec l’INSEE, que de plus en plus d’enfants vivent en résidence alternée. Ce constat est valable pour toutes les tranches d’âge, même pour les enfants de moins de 3 ans. Nous avons présenté cette enquête dans notre billet du 17 janvier 2019.

Partant de ce constat, ce journal transmet surtout des idées anciennes et peu fondées sur la résidence alternée. L’occasion pour nous de proposer un état des lieux des recherches et des pratiques.

Dans la plupart des séparations, il y a toujours alternance entre deux maisons

Depuis la loi de 2002, les parents ont un devoir de coparentalité : ils partagent l’autorité parentale. Il s’agit d’une responsabilité à exercer jusqu’à l’autonomie de l’enfant. Ainsi, l’article 373-2 du Code Civil indique que « Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent. »

Sauf cas exceptionnel, où l’enfant est en danger, il y a donc toujours alternance entre deux domiciles. Cette alternance peut prendre deux formes : la résidence alternée ou le « droit de visite et d’hébergement. »

La fréquence des changements de domicile est identique entre résidence alternée et droit de visite et d’hébergement strict : 2 fois par quinzaine. La différence est que dans le premier cas, l’enfant alterne pour une semaine complète, alors que dans le droit de visite et d’hébergement strict, l’enfant alterne pour 2 jours seulement.

Dans tous les cas, les parents ont la responsabilité de veiller, à la fois, au respect des besoins de l’enfant et au respect de l’autre parent qui garde ses responsabilités de soin et d’éducation.

Nous avons parlé des fréquences de l’alternance dans le billet du 6 décembre 2017, des difficultés issues du droit de visite et d’hébergement strict dans ceux du 8 août 2019 et du 2 mai 2018.

Les jeunes enfants construisent des liens d’attachement aux deux parents

L’idée de l’attachement a été créée par Bowlby dans les années suivant la seconde guerre mondiale. Cette idée découlait de recherches sur les enfants en difficulté familiale. Elle est liée aussi aux recherches sur le comportement animal qui étaient nouvelles à l’époque. On peut se souvenir de la photo de Konrad Lorenz qui avait fait en sorte que des oies nouveaux-nées s’attachent à lui plutôt qu’à un membre de leur espèce.

Les enfants ne sont pas des oies et des études plus récentes apportent une lumière plus appropriée sur les capacités des enfants dans la société du XXI° siècle.

Les travaux actuels montrent que l’enfant construit en même temps plusieurs liens d’attachement. Ceux de Michaël Lamb, professeur à Cambridge, ou de Blaise Pierrehumbert, de l’université de Lausanne, font autorité.

Certes les enfants ne construisent pas le même lien d’attachement avec leur père et leur mère car les deux sont importants.

La qualité du lien d’attachement et l’équilibre entre les différents liens sont donc importants. Ainsi, chacun des parents compte pour assurer la sécurité affective, pour explorer le monde, pour construire des relations sociales en dehors de la maison, ou pour comprendre le respect des règles de la vie collective. Un parent n’est pas forcément en charge d’une seule de ces fonctions car, par exemple, la mère peut être exploratrice et le père protecteur. Ces rôles ne sont pas forcément stables, la mère pouvant être exploratrice sur un domaine et le père dans un autre.

Une certaine quantité de temps passé avec l’enfant permet la construction de l’attachement. Les résultats des recherches actuelles concordent pour montrer que la qualité du lien ne peut pas s’opérer avec aisance sans une certaine régularité et une certaine durée dans la rencontre de l’enfant et du parent.

C’est la raison pour laquelle le droit de visite et d’hébergement strict, qui fait que l’enfant vit avec un de ses parents seulement 2 jours par quinzaine (un week-end sur deux) devrait rester une exception.

Nous avions parlé de la théorie de l’attachement dans nos billets du 21 mars 2018 et du 30 mars 2016.

Les enfants, quel que soit leur âge, bénéficient de la résidence alternée

Les effets de la résidence alternée ont fait l’objet de plusieurs recherches depuis plusieurs décennies. Il faut donc trier un peu avant de tirer des conclusions sur cette question importante pour le bien des enfants et le respect de leur intérêt supérieur.

Premier tri : les premières recherches vs. les études actuelles.

Les recherches anciennes souffrent souvent de faiblesses d’échantillon. Ainsi, une étude australienne de 2010 souvent citée parce qu’elle porte sur 2500 enfants répartis en groupes d’âge porte, en réalité, sur des parents non mariés et même pour 30 % d’entre eux qui n’ont jamais vécu ensemble. Les experts sont nombreux à dire que nous ne pouvons donc pas tirer de cette recherche des conclusions fiables concernant les couples qui divorcent aujourd’hui.

Depuis les recherches se sont améliorées et montrent toutes, les unes après les autres, que les jeunes enfants, les enfants et les adolescents, dans leur grande majorité, bénéficient des contacts avec leurs deux parents grâce à la résidence alternée. Lire notre billet du 14 février 2018, par exemple.

Deuxième tri : les recherches sur de grandes populations vs. celles des cliniciens dans leur cabinet.

Les études des cliniciens à partir des enfants qui sont traités dans leur cabinet sont importantes pour améliorer les prises en charges individuelles. Elles sont adaptées à cet objectif car elles sont fondées sur de petits échantillons bien spécifiques. En contre-partie, elles sont insuffisantes pour orienter les politiques publiques qui concernent toute la population.

Comme nous l’avons dit plus haut, les recherches scientifiques actuelles sur de grandes populations convergent pour montrer que les enfants de tout âge, bénéficient de la vie en résidence alternée. A l’inverse, ceux vivant en résidence pleine chez un parent sont désavantagés sur le plan de la santé, des comportement sociaux, des risques d’addiction et des résultats scolaires.

Le mode de résidence pleine chez un parent, le droit de visite et d’hébergement strict, a donc un coût social et individuel important.

La dynamique des pratiques sociales va dans le sens d’un meilleur équilibre entre père et mère

Comme le montrent les enquêtes de l’INSEE dont nous avons parlé ( billets du 17 janvier 2019 et du 18 juillet 2018) les couples en rupture choisissent de plus en plus la résidence alternée pour leurs enfants. Cette dynamique est vraisemblablement nourrie par celle d’un meilleur équilibre dans la répartition des soins aux enfants.

Ce constat n’omet pas les questions relatives à la prise en compte du point de vue des enfants et à l’organisation de leur vie quotidienne à partir d’un plan parental. Relatives aussi à la diversité des familles d’aujourd’hui, au rôle des beaux-parents, aux familles homoparentales, au foyers monoparentaux.

Certains états ont trouvé des solutions pour que la loi s’adapte à nos sociétés complexes et changeantes. Nous avons récemment cité les lois nouvelles votées au Danemark ou en Espagne.

A quand un renouvellement de la loi famille en France ?