Peut-on parler d’un droit à l’enfant ?

L’évolution des familles, leurs séparations et leurs recompositions bousculent les représentations que nous avons du rôle de chaque parent vis-à-vis des enfants. Quels attachements se construisent, à la mère, au père ou à d’autres personnes ? Quel est le rôle du beau-parent quand la famille se recompose ? Que se passe-t-il dans les familles homoparentales ? Nous en avons parlé plusieurs fois dans ce blog.

Aujourd’hui, à partir d’un entretien donné par Marlène Jouan, maîtresse de conférences en philosophie à l’Université Grenoble Alpes, nous souhaitons réfléchir à la question d’un éventuel droit à l’enfant. Cette question se pose dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, PMA ou GPA.

Est-ce que donner la vie est un droit ?

Les textes internationaux comme la Déclaration universelle des Droits de l’Homme énonce le droit de fonder une famille. Cependant, Marlène Jouan note que la question qui se pose immédiatement est de savoir ce qu’est une famille : les formes prises par la famille ont varié dans le temps et sont différentes d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre.

On a, cependant, l’idée de ce qu’est une « bonne famille » chez nous, aujourd’hui. Marlène Jouan précise cette idée : bonne pour chacun de ses membres, et aussi bonne pour la société et l’économie, bonne pour l’État. La question de la famille est donc morale, sociale et politique. C’est ce que nous avions indiqué aussi à propos de la résidence alternée, dans notre article du journal The Conversation.

Face à cette variété des familles, Marlène Jouan explique que la question du droit à l’enfant a émergé dans les années 2000, au moment du débat sur le mariage pour tous. Certaines personnes, s’opposant au droit des couples homosexuels à se marier en dénonçant une de ses conséquences : l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux homosexuels alors qu’elle était réservée aux couples hétérosexuels ayant des difficultés de fertilité.

Les opposants au mariage pour tous ont alors accusé les couples homosexuels de réclamer un « droit à l’enfant. » Ces couples feraient passer leur propre intérêt, voire leur envie, avant celui de l’enfant. Cela n’est jamais reproché aux couples hétérosexuels, dit Marlène Jouan.

Selon la chercheuse, on pourrait parler d’un droit à bénéficier des techniques disponibles et des dispositions juridiques pour une assistance médicale à la procréation. Elle pose alors la question du coût de ces techniques et dispositions et, par conséquence, des inégalités des personnes devant ce droit.

Un homme et une femme sont parents grâce aux autres

Marlène Jouan rappelle un résultat qui fait consensus en anthropologie : dans toutes les cultures, on ne devient jamais parent en dehors des institutions qui vous consacrent père et mère. En revanche, les critères pour définir le père et la mère varient, d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre. Le cas de l’adoption montre bien que la force du droit peut être supérieure à celle de la biologie. Il en est de même pour l’assistance médicale à la procréation, les bébés éprouvettes, dans les couples hétérosexuels.

Pour certaines personnes opposées à l’assistance médicale à la procréation, une famille non-biologique serait forcément pathologique et nuisible à l’enfant : l’enfant séparé de la femme qui l’a porté subirait des traumatismes psychiques et il perdrait ses repères identitaires. On retrouve, ici encore, le parallèle avec la résidence alternée : les opposants mettant en avant le rôle exclusif de la mère vis-à-vis des liens d’attachement et de la sécurité de l’enfant.

Une loupe sur nos représentations de la famille

Selon Marlène Jouan, la question de l’assistance médicale à la procréation produit un effet de loupe sur nos contradictions et nos croyances, sur nos dépendances et nos reproductions, d’une génération à l’autre, d’un jour à l’autre. Ces représentations qui guident les comportements humains paraissent semblables en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation et la résidence alternée : elles posent la question de savoir ce que c’est que d’être parent et de le rester tout au long de la vie, même après rupture du couple parental.

L’article de Marlène Jouan est plus large que ce qui est repris ici et peut être lu sur le site de son université. Il accompagne un intéressant dossier sur les femmes dans le sport. A lire cet été !