La question du suicide du parent isolé

La semaine a été marquée par l’enquête d’un journaliste de Libération afin de retrouver les données qui permettent à certaines personnes d’affirmer que chaque année 1 300 pères séparés se suicident. Nous n’avons jamais utilisé ce chiffre mais ce journaliste nous a demandé si nous pouvions trouver la source de ces données.

Nous avons lancé un appel sur les réseaux sociaux. Le compte facebook a bien répondu et confirmé les sources que le journaliste avait trouvé par lui-même.

L’article de la rubrique CheckNews fait un compte rendu précis des utilisations de ce chiffre et de la manière dont il a été construit. Quels enseignements retirer de cette affaire ?

Manque de données sur les suicides

L’article de la rubrique CheckNews de Libération met en évidence le manque de données sur la question du suicide et de ses causes. Il montre que le chiffre du suicide des pères est tiré d’une simple règle de trois à partir d’une estimation faite par une magistrate sur ses propres dossiers.

Cette extrapolation n’aurait jamais dû être faite et diffusée mais il faut remarquer qu’elle vient d’une association et non pas d’une référence scientifique. Les bénévoles des associations font ce qui est leur tâche avec les moyens dont ils disposent. Les personnes qui se servent de ces données comme si elles étaient des résultats de recherche semblent plutôt imprudentes.

Au niveau recherche, nous manquons de données françaises. L’Observatoire National du Suicide, créé en 2014, en est au stade du recensement des recherches existantes et des enjeux éthiques. Actuellement, il s’intéresse aux comportements suicidaires chez les jeunes et aux actions efficaces pour les prévenir.

Ailleurs, la situation paraît semblable.

Au Canada, une étude statistique de 2014 à partir des dossiers des coroners (le service chargé des décès) constate des lacunes dans les données car tous les services ne recueillent pas d’informations sur la situation mentale, conjugale ou socio-économique des personnes suicidées. Avec les données disponibles en 2007-2009, l’étude montre que la séparation conjugale représente l’événement récent le plus souvent mentionné dans les dossiers (près de 14 % des suicides). Cet événement se conjugue avec d’autres causes possibles, comme les troubles mentaux et l’abus de substances. Il n’y a pas de différence significative entre hommes et femmes en ce qui concerne le fait d’être sans relation de couple, récemment séparé ou déprimé. La situation économique semble jouer car les femmes sans emploi et les hommes en difficultés financières représentent respectivement 60 et 40 % des cas de suicides.

Aux États-Unis, on trouve une publication de 2003 mais qui se fonde sur des données de la période 1979-1989. Cette étude statistique montre que, à cette période, les hommes divorcés se suicidaient 10 fois plus que les femmes divorcées. Le sociologue auteur de l’article fait le lien avec le fait que la résidence des enfants étaient alors très majoritairement attribuée aux mères qui étaient vues, par la société et la justice, comme les principales pourvoyeuses du soin aux enfants. Il note aussi que les problèmes psychologiques des hommes sont minimisés du fait du stéréotype de l’homme fort qui possède toujours les ressources pour faire face aux événements.

Au total, nous trouvons peu de données sur la question du suicide des parents divorcés.

Détresse du parent isolé

En dépassant la question du suicide, le fait que ce faux chiffre ait été souvent repris met en évidence que la situation des parents isolés est souvent dramatique. D’un côté, certaines personnes ou associations ne peuvent pas imaginer qu’une mère soit régulièrement séparée de ses enfants du fait de la résidence alternée. De l’autre côté, on imagine mal qu’un père se voit attribuer un droit de visite et d’hébergement ne l’autorisant à rencontrer ses enfants que 2 jours sur 14 ; et qui plus est 2 jours de week-end, avec tout le côté artificiel de ces journées sans école ni activités.

Un changement de modèle est en cours, cependant, puisque plus de femmes ont une carrière professionnelle et plus d’hommes s’engagent dans les responsabilités domestiques et d’éducation. Ce développement du partage des responsabilités s’observe, en cas de séparation, dans le doublement du choix de la résidence alternée pour toutes les tranches d’âge depuis 2010.

Il n’empêche que bien des couples sont encore sous le régime du droit de visite et d’hébergement strict, le plus souvent chez la mère. Ce régime conduit à une sorte de confiscation de la coparentalité par la déresponsabilisation des pères dont certains disparaissent de la vie de l’enfant.

Cette mise à l’écart et cette dévalorisation d’un parent – souvent, mais pas toujours, le père – sont reconnues comme violence domestique. Cette violence est plutôt considérée pour ses effets sur les enfants. Ceux sur la vie des parents ne semblent pas souvent traités.

Pourtant, ajoutée à d’autres difficultés économiques ou professionnelles, cette situation peut devenir dramatique et mettre la vie en jeu.

Une raison pour éviter le choix de la résidence pleine chez un parent. Une raison, aussi, pour lancer des études sur le suicide et les conditions d’existence des parents isolés.