Comment se fabriquent les décisions de justice ?

Pour prendre des décisions de justice concernant la résidence des enfants dont les parents se séparent, faut-il un groupe de professionnels ou un seul juge dédié à la défense des enfants ? La première proposition est faite par Roland Broca dans l’article de Sciences Humaines (voir notre billet du 25 mai) et la deuxième par François de Singly dans Le Monde (voir billet du 1° juin). Pour répondre, il faut comprendre comment se fabriquent les décisions de justice.

C’est très surprenant et inquiétant mais les études scientifiques sur la question montrent trolling-the-diceoutes que les juges, comme les autres humains, sont influencés par des facteurs qui n’ont rien à voir avec le cas jugé. Une expérience très connue et validée scientifiquement montre comment un simple lancer de dés peut influencer la décision du juge.

Des décisions sous l’influence de facteurs externes

L’étude conduite par Birte Englich et ses collègues, se déroule en Allemagne et porte sur des juges en formation continue. Ces professionnels de la justice sont donc enclins à répondre aux chercheurs comme ils le feraient dans leur vie professionnelle. Les chercheurs allemands veulent déterminer si des juges expérimentés sont influencés par des données arbitraires.

Dans une première étude, 42 juges expérimentés ont à juger d’un cas de viol supposé. Après avoir étudié le cas, ils sont soumis à l’influence de journalistes. Certains juges lisent l’article d’un journaliste qui réclame une sentence de 1 an de prison et les autres juges à celui d’un journaliste qui réclame 3 ans. Les juges prennent leur décision et on leur demande dans quelle mesure ils pensent que leur jugement est sûr. En fait, tous les juges trouvent leur décision très sûre. Pourtant, ceux qui ont été soumis à la suggestion la plus élevée de la part du journaliste prononcent des condamnations supérieures à 8 mois de prison, en moyenne, à celles de leurs collègues soumis à la suggestion la plus faible.

Une deuxième étude cherche à comprendre jusqu’où la prise de décision est influencée par des facteurs externes arbitraires. Elle concerne 39 juges expérimentés. Dans ce cas, le dossier soumis aux juges indique que pour des raisons techniques la peine requise par le procureur a été donnée au hasard : la moitié des juges lisent une réquisition se terminant par une longue peine, l’autre moitié une courte peine. Encore une fois, tous les juges estiment que leur décision est sûre. Dans les faits, cette décision de justice est influencée de manière significative par le nombre écrit au hasard dans la réquisition du procureur. Plus ce nombre est élevé, plus le juge prononce une condamnation à une longue peine.

Un lancer de dés peut influencer la décision de justice

La troisième étude cherche les limites de cette influence des phénomènes externes arbitraires. Elle concerne 52 jeunes juges en formation initiale complémentaire. Ils ont à juger le même cas que les professionnels expérimentés mais au lieu d’être soumis à des influences réalistes (un journaliste ou la réquisition d’un procureur), ils ont tout simplement à tirer un dé avant de prendre leur décision. Les résultats précédents sont confirmés. Ici encore, tous les professionnels estiment que leur décision est sûre. Ici encore, les résultats démontrent que ces décisions sont influencées par le nombre tiré au dé : plus celui-ci est élevé plus la peine prononcée est élevée.

Ces résultats de recherche aussi étonnants qu’inquiétants pour toutes les personnes qui ont à faire avec la justice sont rapportés par Gérald Bronner, Professeur de sociologie dans sa chronique Réflexions et Débats du numéro spécial Novembre 2014 de la revue Pour la Science. Le sociologue appelle à former les juges à propos du fonctionnement du cerveau humain. Pour lui, connaître les contraintes qui pèsent sur les prises de décision apparaît comme une bonne méthode pour limiter leurs conséquences néfastes.

Nous pensons que ces résultats appuient les pratiques de prises de décision collectives en ce qui concerne la résidence alternée. Le domaine des affaires familiales est trop facilement soumis aux influences externes pour être laissé à une seule personne, même si elle est experte de son domaine.