Que retenir des entretiens conduits par le CESE ?

Depuis deux semaines nous nous intéressons à la saisine du CESE à propos des conséquences de la séparation des parents. C’est un sujet important car l’avis du CESE est censé éclairer les décisions du gouvernement. Il semble cependant qu’il faille relativiser l’importance de ce conseil qui, selon France Inter, ne serait ni très sollicité, ni très actif.

Sur les 8 points devant être traités par le CESE, nous retenons qu’aucun des spécialistes interrogés ne répond en profondeur, tout au moins dans les courtes vidéos proposées sur le site.

Mais quelles conclusions tirer de ce que disent ces spécialistes ?

Personne n’a pris en compte le temps long après la séparation

Prendre en compte les conséquences à long terme de la séparation est la première demande de l’avis de saisine (voire notre billet du 6 septembre 2017). Cependant, aucune des personnes interrogées ne s’est préoccupée du devenir des jeunes majeurs ayant vécu la séparation de leurs parents en fonction de l’arrangement de résidence qu’ils ont connu enfant.

Les résultats des recherches disponibles, celles de W. Fabricius, montrent pourtant que les jeunes adultes qui ont vécu en résidence alternée dès leur plus jeune âge, avant trois ans, ont une affection partagée pour leurs deux parents, même si les parents étaient en conflit. A l’inverse, ceux qui vivaient en résidence chez la mère seule ont du ressentiment contre leurs deux parents (voir notre billet du 18 janvier 2017).

Les conséquences de la procédure DCM ne sont évoquées que par trois intervenants

Il s’agit du point 8 de la saisine du CESE. Les questions posées par les trois experts devraient cependant alerter les responsables politiques sur les risques de la procédure DCM pour les enfants. De fait, c’est maintenant au mineur, quand il est estimé capable de discernement, de prendre la responsabilité de contrer l’accord de ses parents si celui-ci se fait à ses dépens. Les conséquences semblent plutôt graves pour le bienêtre de l’enfant, sans parler de l’impossibilité de respecter cette procédure avec les jeunes enfants.

Beaucoup de fausses représentations sont véhiculées dans ces petites capsules filmées

Les huit intervenant.es résument leur pensée dans un court entretien et on s’aperçoit qu’elle se fonde souvent sur de fausses représentations. L’ennui, c’est que ces préjugés sont transmis par le CESE lui-même sur son site.

L’idée que la séparation est liée à la violence des hommes, tant sur les enfants que sur les cheffes de famille monoparentales, est distillée plusieurs fois. On insiste sur l’absence de conscience de ses responsabilités par le père. On ancre l’impossibilité de résidence alternée pour les très jeunes enfants ou pour les situations de conflit.

Ces idées sont peut-être justes du point de vue des responsables interrogé.es qui interviennent toutes et tous dans des situations très particulières : les enfants en grande difficultés affectives et psychiques, les femmes seules en grandes difficultés financières, les pères qui sortent de prisons ou qui n’ont jamais vu leur enfant.

Ces cas particuliers sont à prendre en compte par les pouvoirs publics.

Cependant, même nombreux, ces cas particuliers ne peuvent suffire à donner un avis sur des politiques publiques qui touchent toute la population (voir notre billet du 8 février 2017). Rappelons, pour le cas de la contribution à l’éducation des enfants, par exemple, que selon la dernière étude disponible de l’INSEE (2014), « la très grande majorité des divorcés (82 %) déclarent que cette pension alimentaire est actuellement versée systématiquement et dans son intégralité. »

Des spécialistes sont choisis avec facilité parmi les habitué.es des commissions précédentes

Les personnalités responsables institutionnelles sont incontournables et il fallait les interroger.

Toutefois, les autres spécialistes semblent sélectionné.es par routine.

On retrouve les habitué.es des commissions précédentes sur les questions familiales. Cette paresse intellectuelle dans la sélection des experts fait que les opinions divergentes et les connaissances scientifiques récentes ne sont jamais prises en compte.

L’intervention du pédopsychiatre est presque caricaturale : comme d’habitude depuis des décennies, il répète les mêmes avis, sans tenir compte de l’évolution des recherches.  Ainsi, il ne semble pas savoir que, depuis des décennies, des spécialistes en psychologie ont montré que l’enfant construit plusieurs attachements en même temps (voir notre billet du 30 mars 2016). Les liens aux deux parents, même après séparation, sont d’égale importance, sans distinction possible.

L’intervenante de la Fédération syndicale des familles monoparentales démontre de la bonne volonté mais elle valorise le point de vue très particulier de son public cible. Elle véhicule aussi de nombreuses représentations néfastes à l’équilibre de l’enfant après la séparation des parents. Les bénévoles de ces associations s’occupent de cas très particuliers et font certainement du lien social mais ils devraient être encadrés et formés. Ce constat rejoint l’appel de Benoît Bastard à la nécessité d’appuyer ces initiatives par les pouvoirs publics car le volontariat et le bénévolat ne facilitent ni leur durabilité ni leur expansion ni, surtout, la pertinence de leur intervention.

Avec cette méthodologie, le CESE a peu de chance de récolter et de promouvoir des idées novatrices qui sont pourtant attendues par les parents d’aujourd’hui.  Il nous faut pourtant inventer des pratiques plus favorables aux enfants que celles qui ont cours actuellement.

Changer la loi sur les séparations et divorces

Les rapporteures et le CESE devraient avoir en tête que, dans la majorité des cas, les enfants pourraient garder un vrai contact avec leurs deux parents.

Une des difficultés majeures vient que, dans la plupart des cas, le père et les enfants ne se rencontrent que 2 jours sur 14, et parfois moins avec le jeu des vacances scolaires (voir nos billets des 3 février, 13 avril et 12 octobre 2016). Cette situation fragilise, à la fois, le lien du père aux enfants, la bonne marche de la coparentalité et le bienêtre général des enfants.

C’est donc une meilleure égalité entre les femmes et les hommes qu’il faut construire.

On peut observer qu’il y a souvent volonté du père à participer à l’éducation des enfants même si cette volonté ne s’est pas traduite par un engagement, mesurable en termes de temps, dans l’éducation des très jeunes enfants. Cet apparent retrait de certains pères dans l’éducation de leurs enfants découle, souvent, du choix des jeunes couples, contraints par la situation d’inégalité professionnelles qui existe, en termes de salaire et de carrière, entre les hommes et les femmes (voir nos billets des 9 et 16 août 2016). Le manque de formation de certains parents sur l’importance de leur engagement éducatif joue probablement aussi.

Il faut former les parents mais aussi les avocat.es et les notaires. La récente loi sur le divorce par consentement mutuel implique des actions en amont de la rédaction de la convention. Il y a urgence à proposer des formations et des ressources aux parents, aux avocats et aux notaires de manière à les informer sur ce que les scientifiques savent aujourd’hui de la coparentalité et des conséquences de la séparation en ce qui concerne le bienêtre de l’enfant.

C’est enfin la loi qu’il faut changer de manière à réserver aux cas les plus extrêmes l’arrangement 2-14 jours (c’est-à-dire le « classique » un week-end sur deux) (voir notre billet du 23 août 2017). Cette loi correspond aujourd’hui aux divorces et séparations en cas de désaccord des parents ou de demande d’audition par un enfant mineur capable de discernement. Elle reste importante.