Soutenir le droit de l’enfant à vivre en famille

Nous reprenons le compte-rendu de la 4° conférence internationale sur la résidence alternée qui s’est tenue à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, les 22-23 novembre 2018. Après avoir fait part de l’intervention de la Secrétaire Générale Adjointe, madame Battaini-Dragoni, nous relatons l’intervention de Regína Jensdóttir, chef de la Division des droits des enfants au Conseil de l’Europe.

Elle met en avant que la résidence alternée est le chemin à suivre, par principe, pour la majorité des enfants. Elle explique pourquoi la résidence alternée ne peut pas être automatique. Elle alerte sur les moyens que doivent prendre les États pour faire respecter les décisions de justice en matière de résidence et de droit de visite. Elle pointe que le temps est le facteur crucial en cas de haut conflit ou de violence. Elle finit en montrant que les enfants doivent pouvoir parler et être entendus sur leur situation.

Voici le détail de son intervention – tout au moins un début pour cette semaine, la suite étant prévue la semaine prochaine. Ce texte n’engage en rien madame Jensdóttir car nous traduisons et résumons ses propos.

Les familles d’aujourd’hui sont multiples

Pour le Conseil de l’Europe, la famille quelle que soit sa forme est l’unité fondamentale de la société. C’est l’environnement naturel du développement et du bien-être de l’enfant. Mais les évolutions sociétales bousculent les modes de penser anciens.

Les familles homoparentales et les familles recomposées représentent une proportion croissante des familles. Les liens d’attachement des enfants aux différents adultes qui ont participé à leur éducation doivent être reconnus et préservés.

La plupart des divorces impliquent des enfants mineurs.

De ce fait, les questions d’autorité parentale, de contact, de droit de visite et de résidence deviennent de plus en plus centrales. Elles sont importantes dans les situations transfrontalières, quand les parents habitent dans deux pays, mais aussi à l’intérieur de chaque pays.

Les procédures de divorce et de séparation ont des conséquences importantes sur la vie des enfants. Cependant, le droit de l’enfant à maintenir des contacts avec sa famille et à être entendu est souvent laissé de côté.

Prendre en compte le point de vue de l’enfant

La stratégie des Droits de l’Enfant du Conseil de l’Europe est fondée sur cinq objectifs dont : l’accès à une justice adaptée pour les enfants, la participation de tous les enfants, la protection des enfants contre la violence et la lutte contre les discriminations.

Les enfants sont ainsi des sujets de droit, ils ont des droits pour eux-mêmes. Il ne sont pas les objets de leurs parents, ils ne sont pas leur propriété.

Nous devons donc essayer de regarder chaque situation du point de vue de l’enfant et dans la perspective des droits de l’enfant.

Lutter contre les stéréotypes de genre

La stratégie du Conseil de l’Europe pour l’égalité entre les femmes et les hommes soutient fortement l’égalité de visibilité, de pouvoir d’agir, de responsabilisation et de participation entre les femmes et les hommes, dans toutes les sphères de la vie publique et privée. Le premier objectif est de combattre les stéréotypes de genre.

Un des stéréotypes à combattre est la traditionnelle division des rôles entre le père qui serait le pourvoyeur de ressources et la mère qui serait dédiée aux affaires domestiques. Aujourd’hui, un équilibre entre travail et vie familiale est attendu des parents des deux genres. Les responsabilités parentales devraient être partagées entres les deux parents, sauf cas exceptionnels.

Les approches genrées et leurs stéréotypes sont profondément ancrés à tous les niveaux de la société, y compris celui de la justice. Ces représentations jouent encore un rôle dans les questions de résidence des enfants. Elles influencent les juges, tout comme les décisions des pères de demander ou non la résidence alternée, dit l’oratrice.

Nous rajouterions, pour notre part, que ces stéréotypes influencent aussi les mères dans leur décision de laisser le père seul avec les enfants durant la moitié du temps. Ils influencent aussi l’entourage des mères dans le soutien ou non à ce partage des responsabilités. C’est ce dont témoigne très clairement la journaliste Nadia Daam.

La résidence alternée est la voie à suivre par principe

Regína Jensdóttir note que durant la plus grande partie du XX° siècle, les juges ont favorisé la résidence chez un parent, habituellement la mères. L’idée était que les enfants avait surtout besoin de stabilité, plus que de tout autre chose, et que les mères étaient bien plus compétentes pour cela.

Depuis une vingtaine d’années, ceci apparaît comme un défaut du système judiciaire. Les parents ont également manifesté leur intention de mieux partager les responsabilités. Des jeunes adultes ont montré que leur droit à avoir des contacts avec leurs deux parents n’avait pas été respecté.

Aujourd’hui de plus en plus de médiations, de jugements ou de décisions administratives proposent des solutions qui permettent à l’enfant de maintenir des relations équilibrées avec les deux parents.

Les recherches vont également dans ce sens, précise Regína Jensdóttir, en montrant que les enfants et les adolescents en résidence alternée (qui vivent un temps à peu près égal avec chaque parent) font état d’un meilleur bien-être et d’une meilleure santé que ceux qui vivent plutôt chez un seul parent.

De ce fait, cet arrangement paraît la solution à privilégier quand les parents sont en accord, ou quand le niveau de conflit est gérable, ou simplement quand cette solution convient à l’enfant.

Le choix de résidence ne peut pas être automatique

Mais la résidence alternée ne peut pas s’appliquer dans les situations de violence domestique. Que cette violence soit sur l’enfant ou entre parent, Regína Jensdóttir précise que la situation est comparable. La convention d’Istanbul met sur le même plan le fait d’être victime ou témoin de violence dans la famille.

Le choix de résidence doit se faire en fonction de la situation concrète.

Pour notre part, nous rajoutons qu’aucune modalité de résidence ne peut être automatique. En France, le fait d’appeler « classique » le droit de visite et d’hébergement chez un seul parent durant 12 jours sur 14 est une manière de le rendre « automatique ». Ce n’est pas acceptable non plus.

Les États ont à garantir la justice pour les enfants

Nous rejoignons Regína Jensdóttir pour dire que dans ces situations de violence, explicite ou larvée, l’enfant peut être utilisé comme un pion par un ou les parents. La situation devient alors compliquée et c’est ici que les États devraient prendre leurs responsabilités en garantissant que la justice est faite pour et avec l’enfant.

Nous développerons ce point la semaine prochaine.