La Cour d’appel de Chambéry privilégie la coparentalité et la résidence alternée

La revue La semaine Juridique, publie un article de Guillaume Kessler, de l’université de Corse, intitulé « La systématisation judiciaire de la résidence alternée ». Il affirme que la tendance judiciaire va dans le sens d’une généralisation de la résidence alternée, de manière à renforcer la coparentalité. Dans ce sens, une récente décision de la Cour d’appel de Chambéry permet de sortir des critères subjectifs qui souvent président au choix du mode de résidence des enfants après séparation des parents.

Cette décision d’une Cour d’appel est importante en ce qui concerne les conséquences de la séparation des parents sur les enfants. En attendant une réforme de la loi, cette décision peut orienter vers des pratiques judiciaires plus favorables au bienêtre des enfants.

Que dit la décision de la Cour d’appel ?

La résidence alternée est compatible avec le désaccord des parents

La Cour d’appel de Chambéry dans son arrêt rendu le 23 janvier 2017 affirme que la résidence alternée peut être mise en place même si les deux parents ne sont pas d’accord sur cet arrangement. Elle dépasse ainsi l’idée préconçue selon laquelle le conflit des parents interdirait la résidence alternée.

Dans ces attendus, la Cour d’appel précise : « qu’il est pertinent de faire remarquer que le système de résidence alternée fonctionne d’autant mieux que les parents adhèrent à ce système dans l’intérêt de l’enfant ; Que cependant, l’enfant peut être confronté au conflit qui traverse les parents à l’occasion d’un autre système de résidence, et notamment à l’occasion de l’exercice par l’un ou l’autre des parents de son droit de visite et d’hébergement. »

Il en résulte : « que le conflit entre les parents et la capacité de chacun d’entre eux à l’occulter lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas en lien avec le système de résidence adopté. »

Comme l’indique Guillaume Kessler, le soubassement de la décision de la cour c’est de garantir le respect de la logique de la coparentalité. Dns cette logique, en effet, les parents sont toujours amenés à prendre ensemble des décisions quant à la vie et à l’avenir de leurs enfants, ne serait-ce que vis-à-vis de l’école (voir notre billet du 30 août 2017).

Dans ces conditions, mieux vaut que les deux parents puissent s’investir de manière significative dans l’éducation des enfants. Un droit de visite réduit à 2 jours sur 14, en weekend, avec la moitié des vacances scolaires, ne peut pas suffire à établir des liens affectifs et éducatifs équilibrés. Il est fort probable que cette contrainte nourrisse du ressentiment et attise le conflit parental.

La Cour d’appel de Chambéry rejoint donc, par sa décision, les résultats de la recherche : le seul conflit des parents, en l’absence de maltraitance des enfants, ne peut pas suffire à refuser la résidence alternée. Cet arrangement peut même réduire le conflit (voir nos billets des 9 mars et 16 novembre 2016 et des 15 mars et 3 mai 2017).

La résidence alternée est possible pour les très jeunes enfants

La Cour poursuit ses attendus en précisant que : « l’âge de l’enfant n’est pas un critère décisif du choix de la résidence. En effet, ce critère reviendrait à refuser systématiquement un mode de résidence alternée pour de jeunes enfants et à attribuer ipso facto la résidence à la mère.

Or, le bien-fondé de l’automaticité d’un tel choix est loin d’être démontré, et ne fait pas l’unanimité des écoles de pensée psychologiques. »

Ici encore la Cour rejoint les recherches qui montrent que la résidence alternée est possible et même souhaitable dès le plus jeune âge. Les lecteurs de ce blog connaissent bien ces résultats, concernant les très jeunes enfants (voir notre billet du 23 mars 2016), les adolescents (voir notre billet du 27 janvier 2016) et les jeunes adultes (voir notre billet du 18 janvier 2017).

Les écarts entre les modes de pensée des psychologues sont également bien connus de ces lecteurs. Nous avons montré les écarts qui existent sur le fond (voir notre billet du 15 mars 2017) et sur la méthodologie (voir notre billet du 8 février 2017).

Préserver les liens aux deux parents

La Cour conclut en énonçant : « Enfin, le critère de disponibilité de l’un ou l’autre des parents ne revêt pas un caractère déterminant. Le choix d’un tel critère reviendrait à privilégier systématiquement le parent qui ne travaille pas, ou qui travaille le moins.

Ainsi, l’intérêt de l’enfant est de préserver la continuité et l’effectivité des liens avec chacun de ses parents, tant que la situation respective des parents le permet, et non de privilégier le lien avec un seul de ses parents, dès l’instant où l’enfant n’est plus un nourrisson et est ainsi capable de se détacher au quotidien du lien maternel. »

Comme le remarque Guillaume Kessler, « même si elle n’est pas évoquée en l’espèce, la seule contrainte dirimante reste finalement l’éloignement géographique. »

Des décisions de justice plus objectives

La décision de la Cour d’appel de Chambéry revient donc effectivement à faire en sorte que les juges se prémunissent contre les critères trop subjectifs, qui pourraient influencer leurs décisions. Ces influences sont aujourd’hui bien connues des juristes eux-mêmes (voir nos billets des 8 et 15 juin 2016).

En conséquence, la seule question à se poser semble, en l’absence de violence et d’abus sur les enfants, celle de la proximité des résidences des deux parents et la longueur des trajets que cela peut impliquer pour aller à l’école.

Cette décision de la Cour d’appel de Chambéry pourrait être le signe d’une tendance au développement de la coparentalité concrète, au quotidien, par opposition à un partage uniquement juridique et formel de la responsabilité. Ce mouvement pourrait alors s’amplifier dans les années venir.